L’IA à l’école : pour le pire… ou le meilleur ?

Blog L’IA à l’école : pour le pire… ou le meilleur ?

Par Brigitte Valotto le

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On le sait, l’Education nationale ne va pas très bien, et les élèves français ne cessent de dégringoler dans les classements internationaux. L’arrivée de l’intelligence artificielle va-t-elle les aider à remonter la pente… ou au contraire, les enfoncer parmi les cancres ? Tout un débat… qu’on vous résume à l’ancienne – sans avoir rien demandé à ChatGPT !

IA : des initiales qui font un peu peur… et qu’on voit partout. Mais sait-on vraiment de quoi il s’agit, en réalité ? Demandons à ceux qui l’ont inventée : Yann Le Cun, chercheur français considéré comme l’un des pères de l’intelligence artificielle, la définit comme « un ensemble de techniques permettant à des machines d’accomplir des tâches et de résoudre des problèmes normalement réservés aux humains et à certains animaux ». En peu de temps, cet ensemble de techniques est devenu un marché porteur : en 2015, à ses débuts, il pesait 200 millions de dollars… et en 2025, on estime qu’il s’élèvera à près de 90 milliards de dollars, avec de multiples utilisations dans tous les domaines : médecine, transports, finances, musique… et bien sûr, l’éducation de nos enfants !

Quand l’IA se fait prof particulier…

Déjà, de nombreuses applis ont vu le jour dans le domaine privé, utilisant les innombrables possibilités de l’IA pour renforcer, stimuler, enrichir, les savoirs de nos enfants. En langues, par exemple, l’intelligence artificielle est d’une redoutable efficacité : « Elle peut décomplexer les apprenants, stimuler la pratique orale, les échanges et leur fréquence. Elle peut également détecter et se souvenir des forces et faiblesses de chacun, les aborder et faire réviser aux bons moments. Elle peut ainsi aider efficacement à l’apprentissage des langues, pour lesquelles une pratique régulière et personnalisée est clé pour s’exprimer et mémoriser » résume Eloise Ghertman, présidente de Gymglish, qui vient de lancer son appli Aimigo. Celle-ci utilise l’IA pour vous faire échanger et converser avec un « ami virtuel », dans sa langue, avec bienveillance et sans jugement ! On a testé : c’est bluffant. Aimigo se met à votre niveau, s’adapte au fur et à mesure des échanges, et en plus… il a sa propre personnalité, qui varie selon la langue étudiée (appli dispo à partir de mars 2024 pour apprendre l’italien, l’allemand, l’espagnol, le français et l’anglais, à partir de 14 euros / mois.)

D’autres, comme EvidenceB, fondée en 2017 par Thierry et Catherine de Vulpillières – lui, ex-directeur des partenariats éducatifs chez Microsoft, elle, ancienne enseignante et agrégée de Lettres – développent des modules d’apprentissage dans les savoirs fondamentaux, Adaptativ’Langue et Adaptativ’Maths.

Et les enseignants sont de plus en plus nombreux à les utiliser en classe. Les « marchands du savoir » ne sont donc plus les seuls à plancher sur l’IA : l’Education Nationale se montre de plus en plus ouverte à ses vertus pédagogiques. Et depuis peu, elle est entrée à l’école par la grande porte : Gabriel Attal, alors ministre de l’Education, a en effet annoncé l’expérimentation du programme MIA, depuis le début d’année. Elle devrait être généralisée à la rentrée 2024, dans le cadre de la “Mission exigence des savoirs”. Un programme justement mis au point par EvidenceB, pour « coacher » les élèves en maths, mais aussi en français.

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Quand l’IA s’invite à l’école…

Le ministère de l’Éducation nationale et de la Jeunesse mise beaucoup sur cette innovation : MIA comprend 20.000 exercices adaptatifs en mathématiques et en français, sur 24 modules, à faire en ligne, sur smartphone ou sur tablette, en solo ou en duo, en groupe ou à la maison.  » Ces exercices ont été conçus par des enseignants, avec l’aide de chercheurs en sciences cognitives « , explique Thierry de Vulpillières.

Mais où intervient l’IA ? C’est dans la construction d’un parcours personnalisé qu’elle démontre ses capacités : d’abord, l’intelligence artificielle évalue le niveau de chaque élève grâce à un test, elle analyse ses points forts, ses points faibles, puis elle lui bichonne un programme sur mesure, avec des notions mises en ordre, adaptées à ses besoins, et une montée progressive en difficulté. Poudre aux yeux ou réelle avancée ? En tout cas, pour beaucoup de spécialistes, l’enjeu de l’IA à l’école est ailleurs : il s’agit avant tout de former les élèves à une nouvelle forme de réflexion. Et à les faire entrer dans « un nouveau siècle des Lumières », rien de moins… selon le mot de Yann le Cun, qui appelait en avril dernier, dans un entretien au « Monde », à accélérer les recherches pour améliorer la fiabilité des systèmes et en donner les clés aux prochaines générations. C’est aussi l’ambition de la Fondation l’IA pour l’Ecole, qui milite pour « permettre à tous de comprendre cette nouvelle révolution technologique – et surtout de se l’approprier. »

L’intelligence artificielle, prochain savoir fondamental… ou reine de la triche ?

« L’école, ce lieu si essentiel dans la cohérence de nos sociétés et de nos humanités, va être bouleversée par cette révolution numérique ; cette école que nous connaissons et que nous aimons ; cette école qui accueille sans distinction tous les élèves et qui doit permettre à chacun de trouver sa place dans la société par la transmission des savoirs et des valeurs ; cette école va devoir intégrer et penser la technologie comme un renfort au service de la diffusion des connaissances », plaide ainsi Guillaume Leboucher, qui a fondé et préside l’IA pour l’Ecole. « Multiplication des plateformes numériques, apparition des agents conversationnels et des agents algorithmiques, explosion des données, disponibilité immédiate de l’information : autant d’exemples de nouvelles technologies et de nouveaux outils qui vont s’imposer au monde éducatif. Dans ce contexte nouveau, l’intelligence artificielle, associée aux nouvelles connaissances qui s’ouvrent sur le fonctionnement du cerveau, va transformer aussi bien les techniques d’apprentissage que les modes d’enseignement », estime-t-il.

Et pour cause : l’IA, c’est aussi la possibilité de faire réfléchir une machine à notre place… et cette capacité-là, les élèves l’ont vite saisie ! « Quand j’ai annoncé à ma classe qu’on allait travailler avec ChatGPT, ils se sont tous exclamés : génial, madame, on aura toutes les réponses ! » raconte Florence, enseignante de philo dans un lycée de de Seine-et-Marne. Mais ils se trompaient, assure-t-elle : « Ils ont un peu déchanté. Les réponses de l’IA ne sont pas toujours au point… et c’est justement là que c’est intéressant. On peut travailler à améliorer les réponses de la machine, jouer à rivaliser avec elle, ça booste l’envie d’apprendre et ça éveille l’esprit critique ! »

C’est aussi parce que l’IA ne sait pas encore tout ou fait des raccourcis abusifs, que certains profs assurent voir « immédiatement » si les élèves ont recopié « bêtement » les réponses de ChatGPT pour un devoir maison. « Surtout en français, dit Carine, qui enseigne cette matière au collège. On sait bien comment l’élève s’exprime et comment il écrit, habituellement, alors la prose de ChatGPT… c’est un peu cousu de fil blanc ! »

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L’IA, ça se voit ?

Pour les profs moins observateurs, ou les matières où c’est moins facile, il existe même aujourd’hui des outils capables de révéler la fraude, comme DétectGPT, élaboré par une équipe de chercheurs de l’université de Stanford, ou GPTZero, un système capable de « détecter les textes rédigés par GPT-3 ». Oui, mais… nous en sommes déjà à GPT-4, lancé l’an dernier ! On peut prédire qu’à mesure qu’elle s’affine, l’intelligence artificielle sera de plus en plus indétectable… Selon Open AI, créatrice de GPT-4, ce système « multimodal à grande échelle qui peut accepter des entrées d’image et de texte et produire des sorties de texte » reste « moins capable que les humains dans de nombreux scénarios du monde réel » mais « présente des performances de niveau humain sur divers critères professionnels et académiques, y compris la réussite d’un examen du barreau simulé avec un score autour des 10% des meilleurs candidats.»

Et si les élèves peuvent se servir de l’IA pour frauder à un examen ou se dispenser de devoirs… les profs aussi peuvent tricher : « J’utilise ChatGPT pour me créer des plans de cours », reconnaît Damien, prof d’histoire dans le Val d’Oise. Mais c’est une pente dangereuse : bientôt, y aura-t-il encore besoin d’un humain pour réciter la leçon construite par l’IA ? En d’autres termes, celles-ci pourrait-elle complètement supplanter les profs ?

L’intelligence artificielle à la place des profs ?

« Depuis que ChatGPT est sorti, beaucoup de collègues en ont peur, et prédisent qu’il va nous remplacer », assure Florence. Mais elle ne craint rien : « Je pense qu’on n’en est pas encore là ! Pour l’instant, c’est surtout une chance pour nous. Parce que l’IA, elle se base sur les connaissances humaines. Elle ne fait que nous aider à puiser dedans, à trouver des réponses… C’est comme une encyclopédie, qui contient tout le savoir du monde, et qu’il faut apprendre à utiliser. L’IA est un outil. Elle nous donne les bonnes réponses si on sait poser les bonnes questions. Et notre rôle, c’est d’apprendre aux élèves à se les poser, et à les poser à la machine. »

Catherine de Vulpillières, co-fondatrice d’Evidence-B, est du même avis : « L’IA va augmenter l’expertise du professeur. C’est aussi une aide aux élèves pour mieux comprendre et cela de façon personnalisée. L’humain a toujours utilisé des techniques pour l’aider ou aller plus vite. Mais il va se passer un peu de temps avant qu’une IA corrige des dissertations », assure-t-elle.

Et même si elle aide les profs à enrichir leurs cours et accélère la correction des copies, même si elle donne un coup de pouce aux élèves pour faire leurs devoirs, l’intelligence artificielle ne saura jamais transmettre la passion que certains profs inspirants peuvent insuffler à des élèves subjugués – rappelez-vous le « Cercle des Poètes Disparus » ! Certains enseignants sont capables de déclencher un intérêt qui va durer toute la vie pour un auteur, une matière… La machine le pourra-t-elle un jour ? Comme le souligne une rectrice d’académie : « L’éducation est avant tout un acte humain qui se noue. La réussite des élèves et liées à la qualité de la relation humaine entre l’élève et l’enseignant ». Eloise Ghertman, la dirigeante de Gymglish, est du même avis : « L’IA ne saurait remplacer la richesse et la complexité des échanges humains. Contrairement aux algorithmes, les enseignants sont capables de transmettre des valeurs et des compétences interpersonnelles cruciales pour la vie, d’avoir un rôle primordial même si différent et augmenté par l’IA ! »

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Des défis inédits

« L’utilisation de l’IA générative dans l’apprentissage confronte en tout cas les systèmes éducatifs à des défis inédits », s’inquiète pour sa part l’UNESCO dans son rapport mondial de suivi de l’éducation 2023. « Ces nouveaux outils peuvent se révéler précieux pour fournir un accompagnement personnalisé aux élèves, notamment ceux qui souffrent de handicaps ou vivent dans des zones éloignées. Mais ils posent aussi la question de la fracture numérique, de la confidentialité des données ou encore de la prépondérance de grands groupes mondialisés dans ce secteur. Et pour l’instant, les garde-fous font défaut. Il est donc urgent que soient adoptées des réglementations afin que l’utilisation de l’IA dans l’éducation reste centrée sur l’humain, dans l’intérêt supérieur des élèves. »

C’est pour soutenir ce mouvement que l’UNESCO a publié en septembre dernier le tout premier « Guide mondial pour l’IA générative dans l’éducation et la recherche ». Ugo Cavenaghi et Isabelle Senécal, auteurs de l’ouvrage “Osons l’IA à l’école – Préparons nos jeunes à la révolution de l’intelligence artificielle ”, montrent à quel point l’arrivée de l’IA peut aider les enseignants à proposer aux élèves des expériences d’apprentissage personnalisées et stimulantes, qui tiennent compte de leur rythme et de leur façon unique d’apprendre… à condition qu’ils sachent l’utiliser à bon escient. Plusieurs pays investissent actuellement dans des programmes visant à aider leurs enseignants à utiliser toutes les potentialités de l’IA, à mieux cerner ses risques et ses atouts. Ainsi, à Singapour, tous les enseignants vont recevoir une formation en ce sens d’ici à 2026, et en Corée du Sud, un vaste programme de formation des profs a été lancé, tandis que du côté des élèves, des cours sur l’IA seront intégrés dans les programmes à tous les niveaux scolaires…

C’est peut-être l’exemple à suivre pour que l’intelligence artificielle, au lieu d’induire une uniformisation des apprentissages ou une diminution de l’esprit critique chez les élèves, devienne un tremplin pour l’intelligence… naturelle !

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