
Quand votre adolescente se tord de douleur à chaque règle, est-ce « normal » ? Longtemps, ces souffrances ont été minimisées, laissant des générations de femmes en proie à l’endométriose, au SOPK (syndrome des ovaires polykystiques) ou aux fibromes. Mais les choses changent ! Grâce à une meilleure prise en charge, les nouvelles générations peuvent être diagnostiquées et traitées plus tôt. C’est à nous, parents, de décrypter les signaux d’alerte. Quels sont les signes qui doivent amener à consulter ? Nous en parlons avec les plus grands experts.
Des maladies trop souvent ignorées : l’endométriose, le SOPK et les fibromes
Ces pathologies gynécologiques, bien que fréquentes, restent encore trop méconnues, surtout lorsqu’elles touchent les adolescentes. Ce sont des maladies incurables. Par conséquent, le meilleur traitement possible pour les soigner reste le repérage précoce. Contrairement aux générations de femmes précédentes qui ont dû en souffrir en silence, car leurs symptômes parfois graves étaient minimisés par le monde médical comme par la société, et leurs douleurs invisibilisées, on repère plus rapidement ces pathologies aujourd’hui, alors qu’en général, il peut se passer de 3 à 10 ans avant qu’un diagnostic ne soit posé. Mais encore faut-il prêter attention aux symptômes.
L’Endométriose : une souffrance invisible
L’endométriose affecte environ une femme sur dix dans le monde. Elle se caractérise par la présence de tissus semblables à la muqueuse utérine – l’endomètre – en dehors de l’utérus, provoquant douleurs intenses et infertilité.
La docteure Anabel Salazar, gynécologue espagnole et Directrice d’IVI Madrid, mène des recherches et anime des débats sur l’endomètre. Nous avons eu le plaisir de l’interroger à ce sujet dans le cadre du 11e congrès international IVI RMA 2025 à Barcelone, qui aborde les avancées les plus prometteuses dans le domaine de la médecine reproductive et gynécologique.
Normalement, l’endomètre tapisse l’intérieur de l’utérus pour accueillir un éventuel embryon lorsque l’on tombe enceinte : c’est la nidation. Si elle n’a pas lieu, il est évacué naturellement au moment des règles. Mais ce processus d’évacuation peut être défaillant. La muqueuse se propage alors en dehors de la cavité utérine, sur la partie abdominale, les ovaires et les trompes. Ce phénomène peut provoquer de l’infertilité, avec des conséquences graves à l’âge adulte si l’on souhaite devenir maman, telles qu’une durée de conception pouvant prendre plusieurs années alors qu’on est jeune et en bonne santé.
« Mais l’endométriose peut être partout. J’ai des patientes chez qui on trouve, dès le premier diagnostic, de l’endométriose dans le vagin, le rectum, l’intestin, provoquant des lésions parfois profondes et donc douloureuses dans tout le corps. On voit même de l’endométriose dans la vessie de certaines patientes » explique la spécialiste.
L’endométriose sur le devant de la scène
Dans leur livre Pourquoi le sexe fait mal, Caroline Ernesty et Agathe Moreaux se penchent sur cette question : pourquoi banalise-t-on ces douleurs au lieu de les soigner et de les prendre en charge ? Au sujet de l’endométriose, elles citent le témoignage d’Aurélia qui se remémore « des vomissements, des évanouissements » au moment de son adolescence et de l’arrivée de ses premières règles. « Je loupais le collège, ma mère était désemparée. Ça s’est conclu par la prise de ma pilule à mes 16 ans. Ça s’est un peu calmé, mais je continuais à souffrir », se souvient-elle.
Peut-être un scénario qui deviendra moins fréquent pour la génération Alpha depuis qu’Emmanuelle Macron, a annoncé, en 2022, le lancement d’une stratégie nationale de lutte contre l’endométriose, car « l’endométriose n’est pas un problème de femme, c’est un problème de société », déclarait le président de la République, comme le rappellent les autrices.
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L’Adénomyose : l’endométriose « interne »
L’adénomyose est une forme particulière d’endométriose, où le tissu endométrial s’infiltre dans la paroi musculaire de l’utérus (le myomètre), raison pour laquelle il est appelé syndrome de l’endométriose interne.
À IVI RMA de Barcelone, nous avons aussi eu la chance de nous entretenir avec le Professeur Thierry Van den Bosch, spécialiste de la condition et gynécologue exerçant à l’hôpital universitaire UZ de Louvain, ainsi qu’à la faculté de médecine de la KU Louvain, en Belgique. Selon lui, l’adénomyose « classique » apparaît plutôt chez les femmes autour de la quarantaine, et/ou au moment des accouchements, car de l’endomètre peut s’échapper dans la paroi. Cette forme d’adénomyose peut causer des règles abondantes et des douleurs durant les règles, mais peut également ne causer que de faibles symptômes. « Mais il existe une forme juvénile plus rare, qui se présente sous la forme d’ un gros kyste dans la paroi utérine et provoque des douleurs assez sévères durant les règles. Ces douleurs deviennent souvent de plus en plus prononcées de mois en mois » avertit le spécialiste. Dans ce cas-là, il faut agir le plus tôt possible.
Grâce aux progrès en échographie et IRM, on peut diagnostiquer des formes plus subtiles d’adénomyose chez la femme jeune, que l’on associe à des dysménorrhées, de ménorrhagies et à une diminution de la fertilité. L’importance de l’adénomyose chez les adolescentes et les femmes de 20 à 40 ans n’est reconnue que depuis les deux dernières décennies.
Le Syndrome des Ovaires Polykystiques (SOPK) : un repérage difficile chez l’ado
Le SOPK, qui touche également une femme sur dix, est un déséquilibre hormonal qui peut entraîner des règles irrégulières, une pilosité excessive (hirsutisme), de l’acné et plus tard, des difficultés à concevoir si l’on souhaite un enfant. Sa détection précoce est fondamentale. « Le SOPK chez l’adolescente est un diagnostic difficile : certains symptômes peuvent se confondre avec des caractéristiques qui sont physiologiques à cette période de la vie. Les explorations doivent donc être réalisées en tenant compte des spécificités physiologiques propres à l’adolescence » préconise le Dr Maud Durivault du Service de gynécologie de l’Hôpital Robert-Debré à Paris, dans le SOPK de l’adolescente.
Les Fibromes Utérins : des tumeurs bénignes fréquentes
Les fibromes utérins, ou léiomyomes, sont des tumeurs bénignes qui se développent sur les parois de l’utérus. Ils touchent une femme sur quatre dans le monde. Bien que bénins, ils peuvent provoquer des saignements abondants, des douleurs pelviennes, des troubles urinaires et digestifs. Angèle Mbarga, fondatrice de l’association de patientes Fibrome Info France et patiente experte, souligne que « beaucoup ignorent qu’elles sont porteuses de cette tumeur bénigne » alors qu’elles en souffrent.
Parce que les myomes grossissent, certaines femmes développent un ventre proéminent. « Beaucoup constatent une transformation physique, des cycles de plus en plus interminables, mais ne savent pas ce qui leur arrive », assure Angèle Mbarga. Une estime de soi en berne, une apparence qui ne nous plaît pas, un quotidien gâché par des règles abondantes et interminables. Telles sont les répercussions que peuvent avoir les fibromes sur la vie des femmes qui en souffrent. Des conséquences d’autant plus difficiles à vivre à l’adolescence, alors que le corps se transforme et qu’il devient une source de préoccupation importante.
Pourquoi un dépistage précoce est crucial chez les adolescentes ?
Repérer ces maladies au plus tôt n’est pas seulement soulager l’immédiat, c’est aussi préserver leur santé future.
Améliorer la qualité de vie
Si une jeune fille ressent de fortes douleurs lors de ses menstruations, ou de façon périodique mais en absence de règle (aménorrhée primaire), il faut d’abord exclure une malformation congénitale qui empêcherait le sang de s’écouler pendant les règles. Dans ce cas-là, une intervention chirurgicale s’impose, car l’attente peut avoir des conséquences graves. C’est l’approche que préconise le Professeur Thierry Van den Bosch : « Si on attend, puisque le sang ne peut pas s’écouler vers l’extérieur, il va aller vers la cavité abdominale et donc provoquer de l’endométriose ».
Ces douleurs chroniques peuvent avoir un impact considérable : absentéisme scolaire, difficultés sportives ou sociales, anxiété, dépression. « Ce n’est pas normal de ne pas pouvoir aller à l’école ou faire du sport ! » s’exclame le spécialiste belge.
La deuxième hypothèse est que les douleurs peuvent provenir d’un utérus hypersensible avec une hypercontractilité pouvant provoquer à terme, dès les 25 ans, de l’adénomyose. Pour éviter cela, le Professeur préconise de donner des antidouleurs à l’adolescente afin de calmer la contractilité : « Ce traitement, ou bien un traitement plutôt hormonal, va calmer les crampes et empêcher des petites déchirures fonctionnelles, qui pourraient déboucher sur de l’adénomyose et avoir des incidences sur la qualité de vie dans le futur ».
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Prévenir les complications à long terme
Un diagnostic tardif peut entraîner des complications graves, dont l’infertilité. Anabelle Salazar d’IVI Madrid insiste : « Quand tu as cette information quand tu es jeune – que tu es porteuse de l’une de ces pathologies – ton désir de maternité, qui est sur le bas de ta liste dans les choses qui ont de l’importance pour toi, devient plus important ». Pour la Directrice, savoir cela et agir en conséquence permet d’éviter que la maladie devienne une cause d’infertilité primaire – incapacité ou difficulté à concevoir son premier enfant – plus tard. « C’est une condition chronique : on ne peut pas la réduire ou la faire disparaître. Donc, il faut la prévenir au plus vite pour la traiter au mieux » conclut la gynécologue.
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Les signes qui doivent vous alerter : quand consulter ?
La vigilance est primordiale. Voici les signaux d’alarme :
- Règles très douloureuses et invalidantes : Si les crampes empêchent votre ado d’aller à l’école ou si les antalgiques classiques sont inefficaces, « il faut dire aux mères de famille d’écouter leurs filles si elles ont des règles douloureuses. Et leur faire faire un bilan complet. Pour éviter qu’elles souffrent toute leur vie d’adulte, et que cela les empêche d’avoir des enfants si elles le souhaitent » conseille Angèle Mbarga de Fibrome Info France.
- Douleurs pelviennes en dehors des règles : Des douleurs abdominales ou pelviennes persistantes.
- Règles anormalement longues ou abondantes : Un flux qui dure plus d’une semaine ou qui est excessivement abondant.
- Troubles digestifs et urinaires persistants : Diarrhée, constipation, ballonnements, difficultés à uriner.
- Douleurs pendant les rapports sexuels : Si votre adolescente est sexuellement active.
- Fatigue chronique, prise de poids inexpliquée, hirsutisme, acné sévère.
- Antécédents familiaux : Si des femmes de votre famille ont souffert de ces pathologies.
Le rôle essentiel du diagnostic précoce
Ces maladies sont chroniques, mais un diagnostic et une prise en charge précoces sont le meilleur traitement.
L’Échographie et les nouveaux outils
L’échographie est clé. Pour l’endométriose, le test salivaire Endotest® est désormais pris en charge en France (depuis février 2025 et sous certaines conditions), offrant un diagnostic non invasif et rapide (résultats disponibles sous une dizaine de jours et avant que l’endométriose ne soit visible par imagerie).
L’importance de ne pas « attendre que ça passe«
« Il faut traiter dès que les règles commencent et que les douleurs les accompagnent. C’est là qu’il faut prendre des antidouleurs » conseille le Professeur Van den Bosch. Car une fois la douleur installée, elle est difficile à arrêter. Il recommande donc d’avoir toujours un anti-douleur comme l’ibuprofène en poche.
Le traitement hormonal : une option à considérer
Si les anti-douleurs ne suffisent pas, le gynécologue préconise un traitement hormonal (une “mini-pilule” ou pilule micro-progestative qui ne contient qu’une seule hormone, la progestérone, et pas d’œstrogènes ; ou une pilule légère avec des œstrogènes naturels si possible). En France, la contraception est gratuite pour les mineures et les femmes de moins de 26 ans.
Éduquer pour mieux prévenir
Anabelle Salazar insiste sur l’éducation des jeunes filles. Pour tenter d’atteindre les adolescents, elle est elle-même sur Tik Tok et Instagram. Surtout, elle fait partie d’un groupe de spécialistes en gynécologie sur les cycles menstruels et les règles, qui réfléchissent à l’impact des médias sociaux pour délivrer ces informations sur la santé gynécologique présente et future aux jeunes, malgré le fait qu’elle ne soit pas au centre de leurs préoccupations : « On doit éduquer les ados, mais aussi les médecins généralistes, les infirmières et l’ensemble des soignants », suggère-t-elle.
D’ailleurs, si votre ado a du mal à trouver un gynécologue, sachez que depuis 2009, les sages-femmes sont formées et habilitées à assurer le suivi préventif en gynécologie de toutes les femmes, ados comme adultes. On constate malheureusement qu’encore très peu de patientes le savent.
En tant que parents, nous avons un rôle fondamental dans le repérage précoce. N’hésitons jamais à consulter si nous constatons des douleurs ou symptômes anormaux chez notre adolescente. Écoutons-la avec bienveillance, croyons-la, et soyons son alliée pour lui offrir une meilleure qualité de vie.
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