Ils ont le coeur en Corée : pourquoi ce petit pays fascine-t-il tant les ados ?

Blog Ils ont le coeur en Corée : pourquoi ce petit pays fascine-t-il tant les ados ?

Par Brigitte Valotto le

culture coreenne k-pop

Films, séries, jeux, chansons, arts martiaux et même cours de langue : une vague sud-coréenne a inondé la planète ! Comment la Corée du Sud, ce lointain pays, est-elle devenue le nouvel eldorado des jeunes ?

« Bizarre, cette passion pour la Corée… En Normandie, on est pourtant très loin de l’Asie ! »  s’étonne Fabrice, 48 ans, éberlué par l’engouement de son fils de 16 ans pour tout ce qui vient du Pays du Matin Calme. « Il s’est inscrit à des cours de taekwondo, il veut se mettre au coréen pour mieux comprendre les chanteurs qu’il écoute en boucle, et récemment, il a même essayé de nous faire du kimchi… Du chou fermenté, lui à qui on n’a jamais pu faire avaler le moindre brocoli ! » Ce que Fabrice ignore, c’est que son jeune fan de Corée est loin d’être un oiseau rare. On pourrait même dire que cette tocade est générationnelle, si elle ne rassemblait bien au-delà des ados ! Qui aurait cru en effet qu’en 2022, les séries les plus regardées sur les plateformes américaines ne seraient plus… américaines ?

L’énorme vague Hallyu pour la pop culture coréenne

Succès mondial, Squid Game a été la série TV coréenne la plus visionnée de toute l’histoire de Netflix l’an dernier, aussitôt suivie par un autre succès coréen, All of Us are Dead. Ils n’étaient pas les premiers : My Name, Kingdom, The Silent sea, Vincenzo… on ne compte plus les « dramas » coréens qui cartonnent.

Mais la Corée s’affiche aussi sur grand écran : en 2020, Parasite, le film de Bong Joon-ho, emportait une quadruple victoire surprise aux Oscars, et devenait la Palme d’Or cannoise la plus rentable en France depuis 15 ans (1,67 million de spectateurs).

Quant à la musique, il y a déjà  plusieurs années que les groupes de « K-pop » (Koréan-Pop) sont au top des classements musicaux internationaux : rappelez-vous « Gangman Style » en 2012 ! Aujourd’hui, le boy’s band coréen BTS est l’un des groupes musicaux les plus suivis au monde : la vidéo de leur dernier single, Butter, a été vue 108,2 millions de fois sur Youtube en 24 heures lors de sa sortie en 2021… un record encore inégalé !

Cet engouement international pour la culture coréenne a un nom : « Hallyu« , soit littéralement, la « vague coréenne ». Et si elle rassemble surtout des jeunes, elle a déjà emporté plusieurs générations.

De la « J-Pop » à la « K-Pop » : comment la Corée a supplanté le Japon

« Le schéma classique est le même pour au moins 80% des passionnés de la culture coréenne, femmes et hommes. On a d’abord été attirés par les jeux vidéos, mangas, J-Pop et dramas venus du Japon. Puis on a découvert les mêmes choses, made in Korea : manhwas, K-pop et K-dramas. Et là, ça a été le coup de foudre », analyse ainsi Gilbert, « geek » trentenaire dont la passion pour la Corée ne se dément pas depuis une dizaine d’années. D’autant qu’elle est entretenue par une production culturelle surabondante : « Les Coréens savent combler en permanence notre ennui », reconnaît Lucille Rifflet, étudiante de 22 ans qui a choisi le « Hallyu » comme sujet de thèse. « Les différents groupes de K-Pop se relaient. Quand certains font des pauses, d’autres les remplacent, donc il y a toujours quelque chose à regarder par le biais des réseaux ! »

Une stratégie bien rôdée qui leur a valu de prendre le pas sur leurs rivaux asiatiques, comme l’explique Rihana, fan trentenaire qui connaît bien son sujet : « Le Japon pensait n’avoir besoin de personne, ils ont tout verrouillé à partir des années 2010. On n’avait plus accès à aucun de leurs contenus. Ils ne mettaient en ligne qu’une version courte des clips musicaux, et le reste était payant. Même le partage des photos des célébrités devenait impossible. Alors que la Corée a complètement adopté la globalisation. Donc, on a vu pas mal de fans de médias japonais migrer vers des contenus coréens.»  Un avis partagé par Gilbert : « Pendant que le Japon limitait son exposition médiatique, la Corée du Sud a commencé à diffuser librement ses contenus sur tous les réseaux, Youtube, Spotify, Netflix… Du coup, pari remporté : aujourd’hui la Corée du Sud a une très belle image et attire toujours plus de fans ! »

Une mode pour la Corée… très stratégique : quand culture et industrie font bon ménage

Le vent qui a porté la fameuse vague coréenne n’est donc pas celui du hasard, comme l’analysent les spécialistes qui se sont penchés très sérieusement sur le phénomène ! Barthélémy Courmont, directeur de recherche à l’IRIS, où il est en charge du pôle Asie-Pacifique, y a même consacré un podcast*. « Ce mouvement est la rencontre d’un engagement de l’Etat dans la promotion de l’industrie culturelle coréenne et des chaebols directement impliqués dans ce secteur », explique-t-il.

Les chaebols, ce sont les groupes industriels coréens, qui tiennent une grande place dans l’économie du pays, et forment des conglomérats influents dans tous les secteurs. « Leur force de frappe permet de concentrer la production culturelle, la promotion, la diffusion, mais également de générer d’importantes retombées dans d’autres activités, comme les cosmétiques, la mode, le tourisme…C’est donc une stratégie commerciale qui est venue se greffer aux productions culturelles. »

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Diplomatie culturelle à succès

Ainsi, les jeunes qui croient adhérer à une « sous-culture » alternative seraient en réalité manipulés, dans des buts bassement mercantiles et propagandistes ? Pour Lucille, cela reste un mal pour un bien : « Quand on a commencé à s’intéresser à la Corée avec ma sœur Anabelle, c’était par le biais de la musique, en 2015. Et en toute honnêteté, c’était peut-être pour sortir de la case « mouton » qu’on proposait alors aux jeunes. La plupart n’osait pas se tourner vers quelque chose de différent, les fans de ces sous-cultures étaient ridiculisés. Désormais, Netflix, TikTok, ont rendu ces contenus disponibles et accessibles à tous, ils les ont normalisés, et finalement, mis à la mode ! »

Une mode pour la culture coréenne qui reprend des outils de propagation bien connus : « Comme le Japon avant elle, la Corée a financé des cours de cuisine partout dans le monde, par exemple », explique le sociologue Vincenzo Cichelli, qui vient de publier avec sa consœur Sylvie Octobre un ouvrage passionnant , K-Pop, soft power et culture globale » (PUF). « Cela fait partie d’une diplomatie culturelle, ce qu’on appelle le « soft power », qui va de pair avec la puissance économique. Et si la Corée, après le Japon, a autant misé dessus, c’est qu’elle commençait à jouer un rôle dans la grande arène de la globalisation. Sa meilleure chance de réussite c’était de faire de ses stars, de ses chanteurs, les témoins et acteurs de son succès international, en proposant des produits culturels qui se détachent du standard international, américains ou anglo-saxons mais aussi japonais. »

K-pop culture coréenne

Une alchimie avec les fans qui fonctionne

Mais pour que le « soft power » fonctionne, il faut qu’il rencontre un public, et rien ne peut l’assurer. « Plein de pays essaient sans y réussir ! La Corée a misé sur la qualité de ses productions : les séries réussissent à mélanger les genres, romance, chronique sociale, humour… Elles montrent des réalités sans les édulcorer, créent des personnages complexes et attachants qui touchent le public », analyse la sociologue, approuvée par son confrère : « Les K-dramas, ce ne sont pas des « télénovelàs » produites à la chaîne. Personne ne peut dire, comme pour d’autres pays : qui regarde les séries coréennes à part les coréens ? »

Et si les séries coréennes parlent aux jeunes occidentaux, malgré les barrières de langue et de culture, de même que la pop, colorée, dynamique, positive, c’est aussi qu’ils y trouvent des valeurs qui les attirent. « Les musiques sont fun, les vidéos sont sublimes, la danse est hypnotisante tellement les groupes sont synchros… Mais un autre point fort, c’est qu’on a l’impression que ce sont des amis, qui nous soutiennent. BTS, par exemple, a aidé énormément de jeunes à sortir d’un état dépressif. Eux aussi ont traversé une crise existentielle et osent en parler. Et puis, ce qui nous a beaucoup attirées ma sœur et moi, c’est de voir des boysband et girlsbands s’entendre comme des frères et sœurs », décrypte notre étudiante, Lucille. « Il y a un nombre incalculable de contenus pour découvrir leurs talents sur scène,mais aussi leurs personnalités. Ils dégagent quelque chose de beaucoup plus sympathique et agréable que les autres artistes étrangers. Les concerts sont géniaux, on a réellement l’impression qu’ils sont hyper contents d’être là, je pense que c’est leur honnêteté qui nous touche, on voit leur sincérité. »

Une production bien rôdée

Pour arriver à une telle harmonie, les sud-Coréens mettent le paquet, grâce à un système qui a déjà produit quatre générations d’artistes de K-Pop : castings géants, entraînement intensif pour les candidats retenus, tous réunis dans le même lieu sous le regard des « netizens » (citoyens du net) – dans ce pays, le plus connecté du monde, ils font ou défont en un clin d’oeil la carrière des artistes ! « Les bases de fans sont énormes. Les artistes vivent tous ensemble comme dans des internats et mettent en avant leur fraternité ou sororité supposées, qui vont avec les messages d’inclusion et de tolérance dans les chansons. On peut les juger formatés mais c’est aussi grâce à ce système qu’ils parviennent à ces chorégraphies parfaitement synchronisées, qui supposent de très bien se connaître », résume Vincenzo Cichelli. « En Occident on cherche à mettre en avant des individus, alors que les maisons de production coréennes cherchent du collectif, et individualisent après au sein de ce collectif, marketé comme un tout. »

Le rêve coréen ?

Des méthodes nouvelles pour une société nouvelle, à la pointe du « high tech », dont la modernité est aussi source de fascination. « Ils ont tellement d’avance sur nous ! » remarque ainsi Gilbert, qui est allé deux fois visiter son Eldorado. « Entre chaque voyage, le pays évolue encore. Tout n’est pas rose, mais ils ont atteint une qualité de vie largement supérieure à la nôtre », juge-t-il. « Ils misent beaucoup sur la modernité, la foi en l’avenir. C’est une image séduisante pour les jeunes qui vivent dans un Occident défaitiste », souligne pour sa part le sociologue. « Et puis il y a l’effet de surprise. Il y a quarante ans, qui aurait cru que la Corée deviendrait aussi moderne ? Elle a acquis l’image qu’avait l’Amérique auprès des jeunes dans les années 50 et 60 : c’est le pays où tout est possible ! »

En prime, la Corée peut mettre en avant un statut un peu à part parmi les grandes puissances, comme le souligne Sophie Octobre : «  Les jeunes savent que la Corée est une démocratie, mais aussi qu’elle n’a jamais été un pays impérialiste et conquérant. Au contraire, elle a été occupée, victime d’une forme de colonisation, et ça bénéficie à son image. Ils la prennent à tort ou à raison comme un pays pacifiste, et ça correspond à leurs idéaux. »

Pour autant, ils ne sont pas dupes d’un miroir aux alouettes : comme le rêve américain, le rêve coréen a ses revers, dont beaucoup de fans sont conscients. « Je ne pense pas que j’aimerais y vivre, car c’est une société très stressante », reconnaît ainsi Annabelle, la sœur de Lucille. « Il faut être le meilleur en tout, la pression sociale a l’air très dure à vivre, vu le taux de suicide élevé… Même si, paradoxalement c’est cette exigence très haute qui permet de produire des contenus incroyables et perfectionnés au millimètre près ! » Rihana, qui y est allée plusieurs fois, approuve : « Il y a des soucis de #MeToo à un niveau démentiel. Ils sont très fermés aux questions LGBT, au féminisme. Ils ont beaucoup de problèmes de société ! »

Cela n’empêche pourtant pas les demandes de cours de langue coréenne d’exploser, et les étudiants européens de partir tester la qualité de ces universités qu’on dit très concurrentielles, mais aussi parmi les meilleures au monde. Un des leaders du marché sur les séjours linguistiques vient d’entrer Séoul dans son catalogue. Et les partenariats universitaires se multiplient. D’ailleurs, Anabelle envisage d’y passer au moins un an. D’ici là, elle tente d’améliorer son niveau de langue (pas facile ! ) et entretient un réseau coréen qui lui fait chaud au cœur. « Je crois que ce type de passion amène à rencontrer des inconnus qui nous comprennent, et ça peut mener à de belles amitiés. Pour moi, c’est aussi ça, la Corée ! »

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