Contrairement à ce que l’on pourrait croire, comme leurs aînés, les jeunes sont toujours aussi motivés pour travailler. Par contre, plus dans les mêmes conditions qu’avant. Les chefs d’entreprise ont du mal à répondre à ce qu’ils considèrent comme des exigences. Une situation tendue mais qui a le mérite de faire évoluer le marché du travail, au-delà des préjugés.
« 4 jeunes sur 10 seraient prêts à quitter leur emploi si ce dernier n’est pas source d’épanouissement ». C’est l’un des principaux enseignements de la dernière enquête exclusive menée par l’institut de sondage d’opinion IPSOS sur « quel rapport la génération Z entretient-elle avec l’entreprise ? », étude croisée menée auprès de 1000 jeunes de 18 à 28 ans, et de 405 dirigeants d’entreprise. Cette enquête, initiée par l’école d’ingénieurs CESI – 25 campus à travers la France, leader dans l’enseignement supérieur, pionnière dans la formation professionnelle – nous permet de découvrir les attentes professionnelles des jeunes et la perception des chefs d’entreprises sur cette génération – née entre 1990 et 2000, et celle d’après – face au monde du travail… Soit deux visions opposées, qui vont devoir s’apprivoiser et faire des compromis pour collaborer.
Stéréotypes vs. réalité : comprendre la motivation des jeunes
« Je m’attendais à qu’on nous dise fainéants et en manque de volonté, et finalement l’avis des chefs d’entreprise est vaste : ils voient la Gen Z pas forcément en manque de volonté de travail, mais exigeante. Et la génération Z se voit comme travailleuse et moi aussi, je me vois comme ça. Je suis prêt à travailler dur ». Ce que pense Rémi – 18 ans et en première année au CECI – des résultats de l’enquête de l’IPSOS, résume bien le décalage entre les perceptions réelles et les clichés qui circulent sur cette génération considérée comme « problématique, difficile, ou encore peu engagée, (avec) certaines représentations sur la jeunesse ou certains groupes de jeunes profondément ancrées, et (qui) peuvent ainsi affecter les jugements portés à leur égard et contribuer à les stigmatiser », selon Claire Hédon, Défenseuse des droits ayant participé à l’étude de l’Institut national de la jeunesse et de l’éducation populaire (INJEP) sur le rapport des jeunes au travail en 2023.
Dans la réalité, les aspirations de la génération Z ne sont pas si différentes que celles des générations précédentes. 84% d’entre eux affirment avoir le goût du travail, et 80% aimer l’entreprise. Tous ne veulent pas, comme certains aiment à le faire entendre, rejoindre les rangs de la fonction publique : pour 41% ce serait non. « Tout cela contraste beaucoup avec le regard des chefs d’entreprise sur la Gen Z. Ainsi, difficile de dire qu’il y a un refus de s’impliquer dans l’entreprise dans cette génération » analyse Brice Teinturier, politologue et directeur général délégué d’Ipsos en France.
Les jeunes et l’entreprise : des perceptions divergentes
Il poursuit : « les chefs d’entreprise ont de réelles difficultés à comprendre la génération Z et à la fidéliser : 86% pensent que cette génération est différente des précédentes, mais surtout 70% trouvent qu’il est difficile de comprendre leurs aspirations, et 1 dirigeant sur 2 se pose la question de comment intégrer les jeunes à leur entreprise ». Autres chiffres qui vont dans ce sens : 57% pensent qu’ils sont moins investis qu’avant, 53% qu’ils ne sont pas respectueux de la hiérarchie et de l’autorité, et 72% qu’ils ne sont pas fidèles à l’entreprise alors que c’est une valeur très importante pour la plupart des chefs d’entreprise.
Cette enquête réalisée par l’observatoire sociétal des entreprises d’IPSOS, montre donc que des deux côtés, « les codes et les perceptions ont du mal à coïncider. C’est un malentendu que l’on doit continuer à explorer et à interroger », préconise Brice Teinturier. Car, contrairement à ce que pensent leurs aînés, les jeunes professionnels sont intéressés par des responsabilités, même lorsqu’elles ne font pas partie de leur fiche de poste à 73% ! Le décalage s’exprime avant tout dans les attentes extrêmement fortes que les jeunes ont de leur travail. C’est la réussite professionnelle qu’ils perçoivent comme essentielle : 91% d’entre eux estiment qu’avoir un travail que l’on apprécie est une condition essentielle pour être heureux et 85% que réussir sa vie professionnelle est un objectif essentiel.
De plus, l’écrasante majorité des 18-28 ans déclare très bien comprendre les attentes des entreprises et ce que l’on attend d’eux, alors que les dirigeants disent pratiquement le contraire ! Ce décalage apparaît donc comme artificiel, on reste sur du déclaratif. Mais les clichés portant sur les jeunes moins engagés en entreprises ont des conséquences regrettables, ils peuvent constituer un frein au recrutement.
La nouvelle génération et la quête d’équilibre travail-vie personnelle
L’étude de l’IPSOS, si elle montre que la jeunesse est prête à travailler et à faire des sacrifices, laisse à voir aussi que cette détermination a un ressort nouveau par rapport aux générations précédentes : c’est un investissement sous condition. Pour preuve, plus d’un jeune sur deux n’est pas prêt à sacrifier son temps sans rémunération, à répondre au téléphone ou à des mails en dehors du travail, à faire des heures supplémentaires sans être payé. Les jeunes travailleurs veulent bien faire les choses, mais pas gratuitement. Une nouvelle donne qui modifie les rapports de force, là où il y avait moins d’exigence avant.
Liam, 19 ans et en première année au CECI, a déjà tout compris : « le taux de chômage a baissé, donc les employés sont en situation de force pour imposer leurs besoins, particulièrement dans les milieux ingénieurs. J’espère avoir des responsabilités dès mon premier emploi, et aussi je souhaite que ma santé mentale soit préservée » témoigne le jeune homme qui souhaite travailler dans la conception de systèmes ferroviaires. En effet, la situation est beaucoup plus propice qu’il y a 30 ans, ère révolue du chômage de masse. Les recruteurs dans des emplois en tension cherchent donc à fidéliser leurs jeunes employés en proposant un meilleur environnement de travail, par exemple, mais tous ne sont pas prêts à le faire.
Pourtant, Brice Teinturier l’assure, pour 80% de ces jeunes sondés, c’est bien l’équilibre entre vie pro et perso qui est le plus important. La rémunération et les avantages sociaux viennent en deuxième position à 77% : la nouvelle génération est prête à se retrousser les manches mais considère que les entreprises ne font pas assez pour les fidéliser et leur donner envie.
Les deux parties doivent donc faire un bout de chemin ensemble, négocier et trouver des compromis pour s’entendre. Les cadres d’il y a 30 ans ne sont plus les mêmes, « laissez-nous aussi organiser » semble dire la nouvelle génération à leurs aînés.
L’impatience de la génération Z : un défi pour les entreprises
Ainsi, la génération Z pense en majorité qu’il est indispensable de mettre la pression pour avoir un meilleur salaire. « Les jeunes ont le sentiment que pour obtenir ce qu’ils veulent, il faut faire bouger les choses et vite. C’est très dur pour les entreprises », estime le DG de l’IPSOS. Quand les demandes des jeunes recrues ne sont pas exaucées, il arrive plus fréquemment que certains se mettent en retrait. Le fameux quiet quitting (démission silencieuse), qui consiste à ne faire que le strict minimum pour un job, dans le but de se préserver.
Comment réagir quand un collaborateur menace de partir ? Réussir à le garder est un défi pour les entreprises. De plus, dans les écoles, on incite les étudiants à changer d’entreprise rapidement pour monter dans la hiérarchie. Ce dilemme s’incarne dans la vision de Lucie, 20 ans et en première année au CECA. Elle souhaite travailler dans le BTP : « moi j’aimerais changer d’entreprise plusieurs fois dans ma carrière, pour casser la routine. Rester 5 ans dans une entreprise, c’est long ». L’analyse de Brice teinturier ? La fidélité à l’entreprise devient de plus en plus une vieille valeur. Pas évident de rester loyal à une entreprise pour des jeunes qui aiment bien voir d’autres horizons.
Des exigences pour faire bouger les choses
Autre dimension pointée par l’étude : le constat d’une certaine impatience des jeunes vingtenaires et trentenaires. S’il n’est pas apporté une réponse immédiate à leurs demandes de contrepartie à leur investissement, les contrats peuvent être rompus rapidement. Ainsi, 37% des jeunes interrogés affirment qu’ils sont prêts à quitter une entreprise si un problème qu’ils ont exposé à leur hiérarchie n’est pas résolu en quelques semaines. Jusque récemment, les salariés se mettaient à l’ouvrage et voyaient après s’ils obtenaient un retour sur investissement. « C’est un jeu de maturité. Les jeunes travailleurs peuvent mettre la pression, mais il est légitime que les entreprises ne puissent pas toujours répondre à la hauteur de la demande et dans des délais rapides, c’est légitime. Il faut les aider et leur laisser un peu de temps pour respirer » perçoit Brice Teinturier.
En contrepartie, pour Magaly Siméon, co-fondatrice de Lily facilite la vie, une startup experte dans le bien-être des collaborateurs au travail, « il est nécessaire pour les entreprises de reconnaître la valeur unique que la Gen Z apporte à la table. Leurs idées novatrices, leur adaptabilité aux nouvelles technologies et leur désir d’impact positif sur la société en font des atouts précieux pour toute organisation ».
Horaires flexibles et télétravail : de nouvelles attentes générationnelles
« J’ai quitté la société car ça n’allait pas du tout avec mon tuteur. Il était tout le temps sur mon dos, à vouloir me faire faire un point chaque fin de matinée et début de soirée, plus intéressé à me faire travailler qu’à me former. De plus, il voulait que tout soit fait à sa façon, il n’était pas du tout ouvert aux autres propositions ». C’est en ces termes que Salma, 21 ans, en première année d’alternance au CECI, résume la raison pour laquelle elle a arrêté cette première expérience professionnelle de chef de projet junior en pièces industrielles dans une grande entreprise du CAC 40. Elle cherche désormais une autre société pour poursuivre son parcours. C’est parce que son entreprise d’accueil n’a pas su répondre à son besoin d’autonomie et de confiance, soit la possibilité de prendre des décisions soi-même sans une hiérarchie trop encadrante et verticale – une autre demande très forte de la nouvelle génération – qu’elle a décidé de mettre fin à son contrat.
Salma a aussi eu du mal, comme beaucoup de sa génération, à se conformer à des horaires fixes de travail, et à finir en dehors des heures de bureau à cause de face-à-face perçus comme inutiles, voire oppressants. « Laisser aux collaborateurs le choix d’arriver à des horaires flexibles et accepter l’idée du télétravail n’est pas une chose si aisée pour les managers, car cela ne correspond pas à leurs codes, ils ont du mal à faire confiance » résume le dirigeant de l’IPSOS.
Inclusion et engagement environnemental : des priorités pour les jeunes
Cet affrontement de visions opposées au sujet des horaires de travail fixes, c’est ce qu’à vécu l’étudiante au CECA Jouda, 26 ans, actuellement alternante à Saint-Gobain : « j’ai des collègues seniors qui font un 08h-18h00 mais qui ne finissent pas leurs missions et on ne leur dit rien. Alors que moi, je les finis mais si je demande de venir à 09h00 et de finir à 17h00, on ne me le permet pas. J’ai du mal avec cette obsession du respect des horaires ». Pour Rémi, 18 ans, l’essentiel va être « l’ambiance au travail, c’est super important. C’est l’un des facteurs les plus importants, le matin quand on se lève, si on n’est pas content d’aller au travail, ça n’a pas de sens ».
Ainsi, pour 74% des sondés, pour travailler, « il faut que les valeurs de l’entreprise soient en accord avec les nôtres ». Mais aussi, la génération Z ne pense pas qu’à elle-même. Pour 64% d’entre eux, le respect des normes environnementales par la société qui les emploie est important. Et un jeune sur 5 refuse désormais de travailler pour une entreprise qui n’a pas d’engagement sociétal ou pour la planète. Les thématiques d’inclusion sont en train de percuter le monde de l’entreprise, c’est un changement conséquent. Bonne nouvelle : les sociétés font désormais leur maximum pour y répondre.
Les défis des jeunes sans diplômes et de l’ubérisation
Salomé Saqué est une jeune journaliste très populaire et engagée de 29 ans, autrice de « Sois jeune et tais-toi« . Pour elle, « ce n’est pas que les jeunes ne veulent pas travailler, c’est qu’ils ne peuvent pas travailler ». En temps de crise, les premiers à souffrir de licenciement, ce sont les jeunes. À ne plus pouvoir vivre de leurs salaires, ce sont les jeunes. Aujourd’hui, le diplôme n’est plus une garantie, le travail ne rémunère plus assez, l’ubérisation des tâches déshumanise et démotive les jeunes. Parfois, les conditions sont si difficiles qu’ils doivent abandonner la carrière à laquelle ils se destinaient. En effet, la réalité est différente pour les jeunes sans diplômes, ou issus de filières bouchées. Tous ne sont pas en mesure de négocier leurs salaires et avantages. Et pour certains, leurs petits revenus, leur précarité les poussent à une cohabitation forcée avec leurs parents, l’accès au logement étant trop onéreux.
Youssef, 18 ans, en première année au CECA, est préparateur automobile. Il a dû commencer tôt dans ce métier pour gagner sa vie. Aujourd’hui il est assez bien payé. Mais pour en arriver là, il a dû faire ses preuves, a été traité de fainéant, et surtout, n’a pas été payé car on lui avait promis une formation en échange, ce qui est illégal ! Maintenant, sa situation est régularisée, ce qu’il a dû réclamer avec insistance plusieurs fois pendant des mois. Et pourtant il ne se voit pas partir : « Sauf si j’ai une issue de secours derrière, et sauf si on me pousse à bout », et ce, pour des raisons financières.
Fidélisation des jeunes talents : des efforts nécessaires
Ce qui ressort de l’enquête, c’est que de nos jours, les entreprises mettent énormément de moyens pour fidéliser leurs jeunes recrues et c’est logique : il est beaucoup plus coûteux d’avoir à gérer des arrivées et des départs multiples. Elles jouent donc sur les rémunérations. Malheureusement, selon certains jeunes, les montants proposés sont considérés comme insuffisants.
Pour Djilali, chargé d’affaires au CECI, « on reproche plus à la Gen Z son individualisme et le fait qu’elle ait été bercée par les réseaux sociaux, alors qu’on les a habitués à ce que tout soit envisagé sur le court terme, et à être le fruit d’un échange de bons procédés. Certaines entreprises ont intégré cela dans leur logiciel de fonctionnement, mais pas toutes encore ».
Antonin, 18 ans et en première année, a la solution toute trouvée : « c’est le contrat en alternance : c’est le moment pour préparer les jeunes à l’entreprise et l’entreprise aux jeunes ! ». Soit profiter du système de l’alternance pour mettre en place un fonctionnement donnant donnant.
Les jeunes travailleurs : porteurs de nouvelles valeurs pour l’entreprise
Selon vous, l’arrivée de cette Gen Z va-t-elle améliorer ou dégrader l’organisation du travail ? À cette question, 40% des dirigeants d’entreprise ont répondu qu’elle allait plutôt améliorer l’organisation du travail, et 32 % qu’elle allait plutôt la dégrader.
Maintenant, les jeunes savent dire non. C’est ce que confirme Chaïma, chargée des relations candidats-entreprise au CECA : « Je place les élèves en alternance. La question qui revient souvent chez les étudiants, par rapport à avant, c’est “ Est-ce que c’est possible de négocier mon salaire ? “. On ne peut pas manager les jeunes d’aujourd’hui comme avant, ils ont une prise de conscience de leur pouvoir et osent dire non ». Raison expliquant la difficulté des chefs d’entreprise à accepter cette nouvelle donne, quand les générations précédentes se sont montrées plus dociles et patientes. Mais aujourd’hui, c’est toute la société qui est comme ça .Et sur le digital, les anciens reconnaissant l’agilité de la Gen Z. « Là-dessus, le regard est positif », affirme Brice Teinturier.
Les jeunes travailleurs ont quelque chose à nous apprendre sur l’équité, le respect environnemental, le travail créateur de sens et pas seulement de richesses… Des valeurs pas forcément évidentes pour les cadres des autres générations, quand elles s’expriment dans l’environnement professionnel.
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