Le phénomène dark romance chez les ados : ces romans qu’ils ne devraient pas lire

Blog Le phénomène dark romance chez les ados : ces romans qu’ils ne devraient pas lire

Par Juliette Prime le

quel age pour lire de la dark romance

Les adolescentes raffolent de ce nouveau genre de romans à l’eau de rose et ce n’est pas sans risque. La dark romance glorifie les relations amoureuses toxiques et les violences faites aux femmes : abus verbal, physique et sexuel, enlèvement, séquestration…Une littérature pour adultes que les 12-16 ans se procurent en douce alors qu’elle ne leur est pas destinée. Comment encadrer ces lectures problématiques pour nos ados ?

La dark romance, un succès auquel les ados ne peuvent pas échapper 

Couvertures alléchantes, vidéos TikTok qui tournent en boucle sur les portables, marketing des maisons d’édition n’affichant pas clairement la classification des œuvres en fonction de l’âge…Toutes les conditions sont réunies pour que nos adolescents tombent dans ce phénomène : des livres pour adultes véhiculant des stéréotypes de genre rétrogrades, sans avertissement explicite et lus à 94,9% par un lectorat féminin

Pensez au roman érotique Cinquante nuances de Grey, l’histoire d’une étudiante en art sous l’emprise d’un homme charismatique avec un goût prononcé pour les pratiques sadomasochistes. Ajoutez-y des héros et héroïnes façon Bella et Edward de Twilight. Reprenez les clichés de la masculinité toxique et de la pornographie – domination, perversité, haine des femmes – et transposez le tout dans le monde moderne des grandes villes, des riches, du fantastique ou de l’université. Vous aurez quelques uns des ingrédients de la recette du succès de la « dark romance»  auprès des jeunes…et des très jeunes.

Ados accros sur les réseaux sociaux 

C’est sur BookTok que nos ados découvrent les nouvelles sorties de leurs auteures préférées. Des plumes féminines et très jeunes, auxquelles elles s’identifient. Cette sous-communauté de l’application de réseaux sociaux TikTok est dédiée aux recommandations de lectures, et c’est via ce canal BookTok que « la dark  » prolifère. 

Les romancières du genre ont pour la plupart d’entre elles commencé sur Wattpad, une appli pour les écrivains en herbe et leurs communautés. Elles y publient leurs œuvres gratuitement  sous forme d’épisodes, comme dans une série. Une façon très addictive de s’enticher de la dernière auteure qui fait le buzz. Chloé Wallerand, dont la saga sur un « gang païen » The Devil’s sons a été lue par plus de 7,5 millions d’utilisateurs sur l’appli, est devenue depuis un phénomène de librairie. 

C’est sur Wattpad que les éditeurs repèrent les futures auteures de romances à succès. En France, Hachette a même fondé sa propre maison d’édition consacrée uniquement à ce format « New romance » (des histoires d’amour tortueuses contenant des scènes de sexe explicites pour adultes) : HLAB. Même chose pour Hugo new romance, émanation de Hugo Publishing et leader sur ce marché, éditeur de l’écrivaine qui en a vendu le plus en France, en 2023 : plus d’un million d’exemplaires pour Jamais plus, de l’américaine Colleen Hoover.

booknode dark romance

 

Une machine marketing extrêmement bien rodée 

Les ventes de  romance  ont  augmenté de 106% l’année dernière (chiffres de l’institut GFK), tirées par le succès de la New Romance,  et de sa sous-catégorie controversée : la dark romance. « Le marché de la dark a explosé à la fin de l’année 2022, avec l’apparition de Captive, de l’auteure algérienne de 24 ans Sarah Rivens, aujourd’hui cinquième écrivaine la plus lue en France. Depuis, tous les éditeurs tentent de se positionner dessus » diagnostique Arthur de Saint-Vincent, à la tête d’Hugo Publishing. En e-commerce, dans les librairies, en grande surface et en supermarché, elle se vend bien et partout. 

C’est en nouant des partenariats avec les réseaux sociaux, et en envoyant leurs nouveautés aux booktokeuses, que les éditeurs de ces romances ont attiré des lectrices au-delà des jeunes adultes, leur cible originelle. Lancements des nouveautés à coup de bandes-annonces dignes d’un film hollywoodien, de boutiques éphémères et d’opérations de marketing XXL, autant de canaux de promotion et de diffusion très attractifs pour les plus jeunes.

Et c’est comme ça qu’elles tombent dedans. C’est ce qui est arrivé à la booktokeuse et auteure @Lise.Owens, 16 ans, suivie par 17 000 abonnés sur TikTok,  il y a deux ans. « Dans leurs vidéos, beaucoup de gens, lorsqu’ils recommandent un livre, ne précisent pas à quelle tranche d’âge il est adapté, ou les thématiques abordées. Or, il est imprudent de parler d’une œuvre de dark romance en ne précisant que ses aspects « cool » (l’action, la romance interdite, etc…) ».  

Des libraires dépassés par le phénomène 

« Pour moi c’est la même chose que du porno. En livre, c’est même plus cru et marquant qu’un film ». C’est ce que pense Sophie Duquesne, responsable de la librairie L’instant Lire à Champigny, dans le Val-de-Marne. Elle n’arrive pas à comprendre cet engouement des jeunes, souvent à partir de 12-13 ans, pour ces livres qui véhiculent les clichés de la femme-objet

Comme tous les libraires, elle constate que c’est le pass culture qui a permis à des milliers d’ados de se procurer cette littérature tendancieuse, aussi populaires que les mangas chez certains jeunes. Le seul mérite peut-être ? « Faire venir à la lecture un public qui n’était pas forcément grand lecteur ou lisait par obligation ».  

«Quand des enfants vraiment jeunes sont là pour s’en procurer, je dis que ce serait bien qu’ils viennent avec les parents avant d’acheter. Mais sur le bouquin c’est marqué “public averti”, c’est pas interdit de vente au moins de 18 ans, donc c’est compliqué ». 

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Des héroïnes persécutées par des pervers 

Le dernier bouquin de l’auteure-phénomène Sarah Rivens,  Lakestone, narre la rencontre entre Kai,  un mercenaire violent et meurtrier et Iris, une étudiante américaine, qu’il kidnapper et torture pour de l’argent. Son premier, Captive, le plus célèbre des ouvrages francophones du genre, celle d’Ella, “donnée” par sa tante à un homme, puis revendue à Ash, un chef de réseaux criminels qui la maltraite, jusqu’à ce que la haine se transforme en amour. 

Le ressort commun à ces deux scénarios : le syndrome de Stockholm, l’intrigue de prédilection de cette catégorie. Lizzy Macleod (son nom d’emprunt pour parler romance sur les réseaux), 23 ans, est étudiante en comptabilité. Elle livre à Mafamillezen le fond de sa pensée: « Les ados vont percevoir ce syndrome comme de l’amour, alors que c’est un mécanisme de survie». 

Cette littérature a ses thèmes – appelés « tropes » – alimentés par  la dynamique d’une narration centrée sur la description de relations malsaines entre bad boy cruels et jeunes femmes sexy en détresse. Le problématique “age gap” se focalise sur les relations entre la baby-sitter et le “bon” père de famille, l’élève et le professeur, ou pire, la jeune fille et son beau-père. Et le trope “initiation” sur la virginité de la protagoniste. “Mafia romance”, “mariage arrangé”, “tyran”, ou encore “boss”, sont quelques-uns des autres sujets dont la dark romance s’est emparée. 

Les ados lisent en cachette 

Sylviane, professeure de français au collège pour les cinquièmes et quatrièmes à Roanne, dans la Loire, confirme : « Ce sont bien les 12/14 ans qui sont la fameuse tranche d’âge si friande de dark romance, qu’elles lisent dès la cinquième. La plupart sont des jeunes filles, aussi bien bonnes élèves qu’en difficultés ». 

À son niveau, elle tente d’informer les enfants : “Je ne suis pas fan du genre mais j’en ai lu quelques-uns pour leur dire que non, ce n’est pas pour eux, mais réservé à un public adulte mature, qui sait ce qu’il lit ». Elle essaie aussi auprès des parents mais constate que le travail de prévention n’est pas fait à la maison. « Quand je reçois des parents en rendez-vous, j’en parle et jusqu’à présent, tous ne savaient pas ce qu’il y avait dedans. Ils sont pour la plupart choqués et tentent d’interdire ces lectures, qui sont poursuivies par les ados en cachette»

C’était le cas de la tiktokeuse Lise.owens, il y a deux ans : « Si je n’ai pas dit à mes parents que je lisais ce type de livres, c’est parce que j’avais un minimum conscience au fond de moi que ce n’était pas un genre qui m’était adapté, et qu’ils m’auraient certainement empêché d’en lire plus s’ils l’avaient su ». 

que lisent les adolescentes

Les parents se font avoir 

La professeur Sylviane l’a observé chez la plupart des parents : non seulement ils ne se méfient pas, mais ils sont même ravis de les voir lire : ils ne cherchent pas à en savoir plus. Les ados accros lisent même en anglais, et les parents en sont très contents.  « Certains parents sont envoyés en magasin par leurs enfants en disant que c’est le prof de français qui a demandé de l’acheter  ! Ils se font berner ! » s’exclame la prof de français.

Les jeunes filles adoptent de nombreux subterfuges pour faire penser à leurs géniteurs que leurs lectures sont inoffensives. « Oh t’inquiète, ça parle de mythologie grecque » alors que le livre en question est Hadès et Perséphone de Scarlett St. Clair, pour les jeunes adultes, et contenant de nombreuses scènes explicites » prévient l’étudiante Lizzy Mcleod. Si vous entendez une excuse du type « C’est juste une petite romance universitaire », méfiez-vous.

Se fier aux “lanceuses d’alerte” 

Lise.Owens, est une lectrice repentie de la dark romance. Avant, elle avait tendance à banaliser les histoires violentes qu’elle lisait. Les avertissements de lecture étaient là mais elle n’y faisait pas attention. C’est en prêtant une oreille attentive aux Booktokeuses plus âgées qui faisaient de la prévention sur ces lectures, qu’elle a compris le danger qu’elles représentaient sur des esprits jeunes et pas encore formés. « Elles ont lancé un mouvement qui m’a convaincu d’arrêter. J’ai pris du recul et suis retournée à mes lectures d’avant, de la fantasy et de la romance. Ce moment loin de la dark romance m’a ouvert les yeux. Je n’ai pas acheté un seul livre de ce genre depuis plus d’un an et demi ». 

Comme si elle avait dû s’en désintoxiquer. Aujourd’hui, elle fait elle-même de la prévention sur son compte. « Je parviens à faire changer d’avis des jeunes, qui m’écrivent ensuite pour me dire qu’ils ont l’intention d’attendre plusieurs années avant d’en lire. Malheureusement, la prévention ne fonctionne pas sur tout le monde »

Lizzy Mcleod poste aussi sur les réseaux pour avertir les parents. Elle lançait récemment l’alerte sur le livre L’ombre d’Adeline, de l’américaine H. D. Carlton : « Attention les parents, beaucoup de jeunes filles à partir de 12 ans tentent de se le procurer par tous les moyens, quitte à mentir aux parents ! ». 

@uneamoureusedeslivres Attention il y a de la Dark romance à ne pas lire avant 16ans 🫶🏼##booktokers##lectriceaddicte##booktok ♬ som original – motivação day

Décrypter les codes et les pièges de la dark romance

Pour savoir de quoi un livre qui vous paraît suspect retourne, il vous faudra ouvrir et parcourir la quatrième page du livre. C’est là que vous trouverez les « trigger warning », soit un petit texte d’introduction résumant tous les sujets explicites susceptibles de susciter des traumatismes. Pour encadrer les lectures, Lizzy Macleod recommande de consulter le site de Booknode, « un super site très utile pour les parents qui se demandent de quoi parle un livre. Ainsi ils pourront mieux dire « oui » ou « non » à leurs enfants ». 

Autre geste de vérification à réaliser : regarder s’il figure un sigle recommandant la lecture à partir de 16 ou 18 ans, sur la quatrième de couverture. Attention, les éditeurs n’étant contraints par aucune réglementation, de nombreux ouvrages en sont dépourvus. Mais les maisons d’édition jouant le jeu de la prévention, comme chez Hugo New Publishing, ont un système en place pour dissuader les enfants, et alerter les parents. Arthur de Saint-Vincent  nous en énumère les principes : « 1. Un macaron “public averti” en quatrième de couverture et le trigger warning dans les premières pages. ,2. un jaspage sombre – la tranche côté pages, coloriée en noir, pour indiquer au revendeur de ranger les ouvrages côté adultes, et non côté young adult ou même jeunesse, comme c’est parfois le cas ,3. Ne pas publier de dark avec une fin heureuse et ne pas banaliser les violences conjugales ».  

Dans le contenu aussi, si le livre est déjà passé entre les mains de notre ado, on pourra avoir une discussion permettant de déconstruire la dynamique de relations amoureuses maltraitantes dont l’issue est le “happy ending”. La dark romance fait croire aux ados que les hommes mauvais peuvent changer grâce à l’amour et arrêter d’être violents : c’est faux. 

Arthur de Saint-Vincent, de Hugo New Publishing, livre son avis à Mafamillezen : « décrypter les codes et pièges de la dark romance, c’est une piste, mais cela nécessite de s’y intéresser. Mais comme tout sujet un peu clivant, ce n’est pas inintéressant ». 

Comment appréhender les risques de la Dark romance 

Sylviane a réussi à dissuader certaines de ses élèves, qui avaient suivi les conseils des copines et des grandes sœurs, d’en lire, en leur recommandant la place des romances adaptées à leur âge, telles que des romans ados qui boostent le girl power

Arthur de Saint-Vincent propose comme alternative des livres tels que Un printemps pour te succomber, de son auteure francophone la plus célèbre, Morgane Moncomble, la reine de la New Romance : « Cela peut-être un bon compromis à la dark romance. Ça peut se lire dès 14 ans, les scènes de sexe y sont très bien écrites, sans gros mot ». Une idée…à vraiment prendre avec des pincettes. Selon lui, plus on interdit ces lectures, plus les enfants vont vouloir y aller : « Il faut discuter, communiquer, et ne pas mettre le sujet sous le tapis. Il faut pouvoir dire oui ou non en fonction de l’âge, mais être aussi lucide sur la situation». Il n’existe malheureusement pas de solution miracle. 

« En-dessous de 16 ans, ce n’est pas une super idée que les filles pensent que c’est sympa de se faire enlever et de tomber amoureuse de son ravisseur », explique de son côté sans ironie la libraire de Champigny Sophie Duquesne.« Il faut avoir un âge qui permet d’avoir un esprit critique ». Si elles réclament, à la place, elle nous conseille de leur offrir la BD Meuf : Guide pour nos filles, de Marie Dubois. Un bouquin conçu comme une aventure dans laquelle nos filles devront déjouer les pièges du sexisme de la société

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  1. Merci pour et article fouillé et préventif. Heureusement qu’il y a des personnes à l’oeil aiguisé et l’esprit construit pour prévenir des parents et des jeunes pas assez attentifs aux dangers de tous ordres qui gravitent autour d’eux de façon détournée.

  2. Article très intéressant sur ce phénomène littéraire : bravo.
    Même si je ne suis pas totalement d’accord sur les tropes cités qui n’appartiennent pas à la dark romance (sauf peut-être la mafia)

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