Les 7 péchés capitaux des réseaux sociaux : rencontre avec l’auteur

Blog Les 7 péchés capitaux des réseaux sociaux : rencontre avec l’auteur

Par Nathalie Brunissen le

Les 7 peches capitaux des réseaux sociaux

La journaliste Bénédicte Flye Sainte Marie s’est intéressée à l’impact des réseaux sociaux dans nos vies à tous dans son dernier livre, « Les 7 péchés capitaux des réseaux sociaux », sorti le 6 février aux Editions Michalon.

Bénédicte Flye Sainte Marie mène une enquête très documentée sur le temps d’indisponibilité de nos cerveaux depuis l’avènement de Facebook,Twitter, Instagram et consorts, construite autour des 7 péchés capitaux des réseaux sociaux : hypernarcissisme, paresse, impudeur, haine, associabilité, infobésité et dépendance.

Boom des Instamums et des mamans influenceuses, diffusion dans la sphère publique de pans de vie très intimes, exposition des enfants à outrance, exploitation commerciale de sa progéniture, conséquences psychologiques de ce narcissisme exacerbé pour les enfants et les ados, Tiktok… Rencontre avec l’auteur.

Où est passé notre temps de cerveau disponible ?

Telles des mantes religieuses, Facebook, Twitter, Instagram et autres ont lentement rongé nos capacités d’attention jusqu’à les monopoliser. Nous passons 608 heures par an sur les réseaux sociaux, soit un peu plus d’une heure et demie par jour ! Non seulement nous leur sacrifions une bonne partie de nos journées, quitte à négliger certaines de nos autres activités, mais nous les laissons infléchir en profondeur les comportements que nous adoptons dans la vie réelle. Combien d’entre nous, par exemple, ne peuvent s’empêcher, lors d’un dîner au restaurant, d’immortaliser le moment sur Instagram ? Du deuil d’un proche à la venue au monde d’un bébé, aucun instant ne saurait désormais échapper au prisme des réseaux sociaux. De nos jours, pour être, il ne s’agit plus de penser mais d’exister sur les réseaux sociaux, quel qu’en soit le prix.

Après « Le pouvoir de l’apparence. Le physique accélérateur de réussite ? » et « PMA, le grand débat », dans « Les 7 péchés capitaux des réseaux sociaux », Bénédicte Flye Sainte Marie s’intéresse à un sujet qui alimente les débats au rythme de l’actualité, et qui concerne toutes les générations : les réseaux sociaux. 

Les 7 péchés capitaux des réseaux sociaux, de Bénédicte Flye Sainte Marie, Editions Michalon, 18 €. Commander

 

Beaucoup de mamans, et notamment celles qui ne travaillent pas pour élever leurs enfants, ouvrent des comptes Instagram ou YouTube, où elles exposent leur famille (souvent sous son meilleur jour). Est-ce un moyen d’exister ?

Oui, je pense que c’est une façon d’obtenir une certaine forme de valorisation ou de revanche de l’égo. C’est un peu la version post-moderne du parent qui estime qu’il n’a pas assez brillé dans ses études et qui pousse, voire sur-stimule sa progéniture pour qu’elle sur-performe l’école et lui offre une réussite par procuration. Leurs enfants leur offrent un formidable tremplin pour s’auto-promouvoir, donner d’elles une image positive. En même temps, notre époque, qui valorise si peu naturellement les femmes au foyer, est en partie responsable de cette situation…

La Famille Coste a diffusé en direct sur sa très suivie chaîne Youtube l’accouchement de son dernier enfant. Comment expliquer ce besoin de faire basculer des moments aussi intimes dans la sphère publique ?

Parce que ce sont les réseaux sociaux sont devenus le lieu ultime (si ce n’est le seul) de la validation sociale. L’événement doit avoir été photographié ou filmé et diffusé sur les réseaux sociaux pour que l’on considère qu’il s’est vraiment produit. C’est comme pour le deuil, si vous ne communiquez pas votre peine online, on aura l’impression que vous n’êtes pas tristes. Ce qui conduit aussi à abolir l’intime, c’est notre tendance à y suivre les codes édictés par ceux qui en sont les icônes, les Kardashian-Jenner, les Nabilla-Thomas et autre Chiara Ferragni. Dans la mesure où ces stars montrent tout ou presque, les barrières entre ce qui était autrefois privé et ce qui ne l’est n’existent plus. Ça pourrait être intéressant si on profitait de ces vidéos YouTube d’accouchements pour véhiculer des messages en termes de santé publique ( par exemple, comment respirer de manière efficace pour faciliter l’expulsion, comment ça évolue une épisiotomie, à quoi ça ressemble à quoi la suite de couches etc.. ) mais là, quand la famille Coste explique que la naissance de son bébé, qu’elle a intégralement exhibée, a été « totalement inouïe », je ne vois pas bien à quoi et en quoi ça peut être utile pour les mamans lambdas de voir ça, à part pour les complexer et culpabiliser. D’autant que nous, simples mortels, ne mettons pas au monde nos bambins dans la mer des Caraïbes…

Swan et Néo sont entrés au Top 10 des créateurs Youtube en vidéos vues en 2019, directement à la 2ème place avec 1,2 millions de vues… de jeunes fans. Promotion de produits à outrance, malbouffe, produits dérivés… rien n’arrête leur business maman. Et elle n’est pas la seule… Qu’en est-il de la régulation de l’exploitation des enfants sur les réseaux sociaux ?

Ça été longtemps une sorte de jungle où tout était permis, un flou dont profitaient d’ailleurs certains parents. Certains sont même allés jusqu’à quitter leur job pour se consacrer à cette activité très lucrative, comme le père de Swan et Néo qui est devenu monteur à plein temps de leurs vidéos ! Et le droit de regard des enfants à la fois sur leur image et sur l’argent qu’ils pouvaient rapporter y a été allègrement bafoué. C’est heureusement en train d’évoluer puisqu’une proposition de loi a été votée il y a quelques semaines, sur le modèle de celle qui régit le travail des enfants artistes pour encadrer le cadre-horaire dans lequel les tournages peuvent avoir lieu, garantir et préserver les revenus des enfants et leur offrir un droit à oubli, qui fait qu’ils peuvent exiger que les photos et vidéos où ils figurent soient supprimées.

Les enfants surexposés et mis en scène en permanence dès leur plus jeune âge, et les ados qui se sont construits autour du like, ne vont-ils pas donner de jeunes adultes frustrés et malheureux ?

Si si, c’est d’ailleurs une question que je traite longuement dans mon livre. A plusieurs titres, d’ailleurs : ils peuvent avoir l’impression qu’on leur a volé ce qui leur appartient, leur identité numérique et un peu de leur identité tout court… Sans cesse traqués par le smartphone de Maman ou de Papa dans leur quotidien, ils auront peut-être aussi été obligés durant toute leur enfance de refouler leurs fragilités, leurs doutes, leurs peurs, leurs inquiétudes pour offrir ce bonheur-vitrine parfait que leurs parents exigent. Puisqu’elles n’ont pas été entendues et prises en compte, ces blessures narcissiques pourront réémerger plus tard dans la vie, parfois violemment. Enfin, pour nos loustics, la maison est censée être une bulle où l’on se ressource, où l’on recharge ses batteries. Or, comment faire pour conserver cette fonction « cocoon » quand vous êtes sans cesse obligé de vous exposer devant l’objectif ?

Aujourd’hui, entre les commentaires destructeurs des « haters », le cyber harcèlement, les prédateurs sexuels, n’y a-t-il pas une forme d’irresponsabilité de la part de ces parents qui exposent en permanence leurs jeunes enfants ?

A mon sens, il y a à la fois une absolue inconscience et un égoïsme qui sont complètement incompréhensibles. Quand on sait par exemple qu’une photo innocente d’une petite fille ou d’un petit garçon dans son bain ou en maillot de bain peut non seulement être récupérée par des pédophiles pour assouvir leurs fantasmes mais aussi peut être utilisée dans des montages pédopornographiques, ça donne à réfléchir… Et effectivement, des commentaires négatifs accompagnant les publications peuvent également traumatiser les enfants. Mais ce sont visiblement des paramètres qui échappent à la réflexion de ces pères et mères.

Le sexting et le porn revenge, bien d’actualité aujourd’hui avec l’affaire Griveaux, ne sont pas que des histoires d’adultes… ils font aussi des ravages chez les ados. Les réseaux sociaux ont-ils désinhibé les ados qui s’y mettent de plus en plus « à nus » ?

Sur ce point, il me semble que les réseaux sociaux ne sont pas les principaux responsables. C’est plutôt Internet en général qui a installé une culture du porno ultra-démocratisée et souvent assez trash. Parce que le sexting n’est pas un problème en soi si c’est pratiqué entre personnes adultes et pleinement conscients de leurs actes. Là où ça devient beaucoup plus dangereux, c’est effectivement quand de tout jeunes ados s’y adonnent -ou par mimétisme pour imiter les plus grands ou afin de plaire à quelqu’un d’autre, par exemple à un petit ami- sans prendre la mesure du fait que ça peut se retourner contre elles/eux. Le/ la classique ex qu’on a largué(e) et qui balance le cliché de nu à tout le lycée ou le collège, c’est extrêmement dévastateur, à fortiori pour une jeune fille ou un jeune homme qui est en pleine construction personnelle…

Tu mets en garde contre le dernier réseau à la mode chez les jeunes ados : TikTok. Pourquoi ?

Parce que parmi les réseaux sociaux qui ne sont pourtant pas très régulés, TikTok fait partie de ceux qui ont la palme du pire. Ça a l’air très ludique mais c’est un espace qui pêche par son criant manque de contrôle. Les informations qui concernent les utilisateurs et utilisatrices, généralement très jeunes, y sont très mal protégées (au départ, elles ne l’étaient pas du tout). Il y a un an, les Etats-Unis ont d’ailleurs condamné cette application à une amende de 5,7 millions de dollars aux États-Unis pour collecte illégale de données personnelles de mineurs Les adultes, notamment les prédateurs sexuels, peuvent par ailleurs contacter très facilement les adolescents et préadolescents. Enfin, c’est le terrain de chasse privilégié des extrémistes de tout bord pour y trouver de nouvelles recrues. C’est ce qui explique que certains pays, comme l’Inde, ont tenté sans succès de la faire interdire.  

Règne de l’apparence, standardisation, vacuité, enthousiasme forcé en permanence, publicité déguisée… pourquoi, en tant qu’adultes, devient-on addict aux réseaux sociaux et aux influenceurs alors que l’on sait tout ça ?

Parce que d’une part, c’est un remède à l’ennui, que ça occupe parfois, à l’instar de la télé autrefois, des moments de la journée qu’on ne sait pas comment occuper ou que l’on a la flemme de consacrer à d’autres types de loisirs. Le deuxième élément qui intervient, selon moi, c’est notre instinct grégaire. On va sur les réseaux sociaux parce qu’on a peur d’être marginalisé si on ne fait pas comme tout le monde. On craint aussi de passer à coté d’infos cruciales ou valorisantes (c’est le fameux FOMO – Fear of missing out). Résultat, on se laisse prendre au jeu, notamment à celui des influenceurs, même si l’on sait à quel point le contenu qu’ils proposent peut être fake

De plus en plus d’adultes, mais aussi de jeunes, quittent les réseaux sociaux. Va-t-on vers une mort annoncée ? Ou vers une mutation ?

Je ne sais pas si c’est vraiment une lame de fond parce que le nombre d’utilisateurs des réseaux sociaux est toujours en constante augmentation. Ils ne sont donc pas si nombreux que ça. Ce qui risque en revanche d’arriver, c’est qu’à l’avenir, les réseaux sociaux devraient se diversifier, changer de nature. Les réseaux sociaux « à la papa » comme Facebook, malgré leur gigantisme et leur puissance, ne répondent plus forcément aux attentes des jeunes générations. Ce que prédisent les spécialistes de l’univers numérique, c’est que les réseaux sociaux de demain seront davantage des communautés d’intérêt, comme Twitch autour des jeux vidéo, que des plates-formes généralistes comme ils le sont aujourd’hui. 

Hypernarcissisme, Paresse, Associabilité, Impudeur, Haine, Dépendance, Infobésité… Peut-on malgré tout tirer quelque chose de positif des réseaux sociaux ? 

Oui, bien sûr, ils nous octroient des extraordinaires possibilités en termes de communication. Pour la mise en lumière des maladies rares ou orphelines, ils ont été par exemple de très précieuses courroies de transmission pour rassembler les gens, combattre la solitude, encourager la solidarité et même créer des groupes de pression pour inciter la communauté scientifique et les pouvoirs publics à déployer davantage de moyens et d’énergie. Ils ont favorisé l’émergence de certains mouvements comme le Body Positive, qui milite pour la fin des stéréotypes et la diversité des beautés. C’est pour cela que le propos du livre n’est pas du tout d’appeler à les boycotter les réseaux sociaux mais d’apprendre à les utiliser autrement. Ne plus en être des moutons dociles mais en devenir des acteurs ! 

 

Les 7 péchés capitaux des réseaux sociaux, de Bénédicte Flye Sainte Marie, Editions Michalon, 18 €. Commander

 

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