Métier à risques : comment rassurer ses enfants ?

Blog Métier à risques : comment rassurer ses enfants ?

Par Brigitte Valotto le

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Comment parler à ses enfants d’une profession à risques ? Comment les rassurer, quand ils comprennent que maman ou papa risquent leur vie au quotidien ? Quatre témoins* nous racontent comment ils concilient métier à risques et vie de famille. Et Delphine Py, psychologue, engagée dans la prévention et la sensibilisation des jeunes en matière de santé mentale, nous donne ses conseils pour mieux vivre au quotidien avec un parent au métier dangereux.

Métier à risques : témoignage de Dorothée Olliéric, grand reporter pour France Télévisions, deux enfants de 19 et 21 ans

« A chaque fois que je pars, au moment de monter dans mon taxi pour l’aéroport, je regarde mes enfants dans les yeux et je leur dis que je les aime… Au cas où il m’arriverait quelque chose, je veux que ce soient les derniers mots dont ils se souviennent. Et même s’ils sont désormais adultes, ça reste notre rituel », explique Dorothée, reporter de guerre, un métier à risques s’il en est.

Car la journaliste, qu’on voit souvent en gilet pare-balles sur nos petits écrans à l’heure du JT,  n’a jamais renoncé à se rendre dans les points les plus névralgiques de la planète : Félix, son aîné, n’avait que deux mois… qu’elle était déjà repartie à Kaboul ! « Quand ils étaient petits, j’ai essayé de les préserver. Je n’ai jamais parlé des moments les plus violents, de ceux où j’ai frôlé la mort de très près. » Son mari, le journaliste d’Europe 1 Philippe Vandel, leur montrait maman à la télé… mais seulement à la fin du reportage, pour qu’ils n’entendent pas des rafales ou des explosions. Vers 7 ou 8 ans, il y a eu pourtant ce moment terrible où ils ont compris : « Mon fils m’a demandé : « Maman, est-ce que tu pourrais prendre une balle ? » Elle n’a pas voulu mentir pour rassurer, mais elle a rapporté tout son barda protecteur de reporter de guerre à la maison. « Je leur ai mis mon casque, fait enfiler mon  gilet pare-balles, ils ont beaucoup ri, ça a dédramatisé, et surtout, ils se sont rendu compte à quel point c’était lourd, épais, protecteur. »

L’inquiétude a pourtant grandi avec les années : aujourd’hui, ses enfants ont appris à compter les sifflements d’obus pendant le temps que leur mère est à l’antenne. Récemment, alors qu’elle annonçait un nouveau départ en Ukraine, Félix a lâché : « Ton but, c’est quoi ? Revenir dans un cercueil ? » Et pourtant, ils ne lui ont jamais demandé d’arrêter, acceptant cette passion pour son métier qui la pousse à repartir sans cesse creuser les plaies du monde, là où il va le plus mal, pour mieux témoigner de ses poussées de fièvre. «Je crois qu’ils ont compris que je n’y vais pas pour le danger… mais malgré le danger ! Ma fille, Castille, qui hésite encore sur son orientation, m’a dit récemment que j’avais de la chance, d’aimer autant ce que je fais. Pourtant, j’aurais renoncé, bien sûr, s’ils me l’avaient demandé. »

Elle a seulement eu à faire une promesse, suite à la mort d’un ami cher, en Syrie : son confrère Gilles Jacquier, en 2011. « Les enfants le connaissaient bien, ils jouaient avec le fils de sa conjointe…lorsque je leur ai annoncé sa mort, ils m’ont fait jurer de ne plus jamais aller en Syrie. Ils avaient pourtant très bien compris que partout où j’allais, c’était dangereux. Mais c’était symbolique. Et je n’ai jamais rompu ce pacte. »

dorothee ollieric reporter de guerre

Dorothée Ollieric, reporter de guerre en reportage en Ukraine

Pour aller plus loin…
Dans son dernier livre, « La guerre au féminin – Elles combattent pour la France », qui vient de sortir aux Editions Tallandier, Dorothée Olliéric donne la parole à dix femmes au parcours militaire et personnel hors du commun, et souvent poignant : un documentaire qui se dévore comme un roman, avec des femmes exceptionnelles pour héroïnes.

Métier dangereux : témoignage de Lise, officier dans les forces spéciales, Guerric, gendarme, deux enfants de 6 et 3 ans.

« En août dernier, j’ai quitté les armes pour la diplomatie, en changeant de ministère pour celui des Affaires Etrangères : cela signifie des déplacements beaucoup plus courts… et la fin des missions à risque » raconte Lise. « J’ai opéré ce virage pour mes enfants», explique cette jeune femme en acier trempé, qui n’avait pourtant jamais renoncé à partir de longs mois au Mali avec les forces spéciales, en laissant son bébé à la maison.

«Aujourd’hui, mon aîné, Hoxence, va avoir six ans et commence à poser pas mal de questions. Comme beaucoup de parents dans l’armée, je lui ai beaucoup lu « Monsieur Bonhomme en Afrique » : c’est un livre écrit par un militaire, qui raconte une mission avec des mots d’enfants et de jolis dessins. Bien sûr, cela n’évoque jamais les dangers, mais les animaux, la vie là-bas… Lors de ma dernière mission, l’institutrice d’Hoxence avait organisé un atelier lecture en classe autour de ce livre et j’envoyais parfois des photos : un scarabée, un chameau dans le désert, des enfants qui jouent… » Il ne s’agit pas d’enjoliver la dangerosité de son métier, mais d’assurer une « stabilité émotionnelle », explique-t-elle : « L’absence des parents est déjà assez traumatisante en soi, on ne doit pas y ajouter un sentiment de peur. Il faut les aider à rester sereins. »

militaire une profession à risques

Malgré tout, son fils aîné a toujours très mal vécu – même tout petit – les départs en mission de son papa dans les forces spéciales : «Il y a moins de tempête émotionnelle avec moi. Son père était au Mali lorsqu’il est né, alors qu’il a eu une naissance très difficile… c’est comme si cela avait créé un lien très particulier entre eux… » C’est sans doute pourquoi Guerric, son mari, a changé de voie avant elle : il est passé récemment des forces spéciales à la gendarmerie. « Le déclic a eu lieu lors d’une cérémonie d’hommage à l’un de ses collègues, décédé lors d’un crash de son hélicoptère au Mali. Son fils était là, habillé en super héros… et orphelin. On a commencé dès lors à penser tous les deux à une reconversion. »

Pour autant, Hoxence est très fier d’avoir un papa qui ressemble à ses figurines Action Man… et une maman déjà venue le chercher à l’école en treillis, n’ayant pas eu le temps de se changer ! «Je sais que des copains de classe lui ont demandé si j’avais un pistolet, si je tuais des gens… Mais je sais aussi qu’à cet âge, on reste à ses yeux des héros, sans pour autant qu’il appréhende vraiment les risques que ça comporte. Il a demandé à mon mari, gendarme, qui était le plus fort entre policier et gendarme, ça nous a fait beaucoup rire. Quand on partait en mission, on n’évoquait jamais les accidents, la mort… mais on parlait de l’absence, du manque, et de l’amour entre nous. C’est le plus important, et c’est aussi pourquoi nous avons voulu changer de fonctions, pour préserver nos enfants, dans leur quotidien mais aussi dans leurs émotions… Qu’ils puissent grandir dans la sérénité. »

Pour aller plus loin…
On retrouve Lise parmi les héroïnes du dernier livre de Dorothée Olliéric, « La Guerre au féminin » (Ed.Tallandier).

Professions à risques : témoignages de Manon et Grégory, officier de police et officier de sapeurs pompiers professionnel, un fils de 16 ans.

Deux parents officiers, ça devrait rassurer… et pourtant, le contexte actuel est plutôt porteur d’angoisse. «Quand j’avais 10 ans, j’ai entendu parler de l’attentat contre deux policiers, exécutés chez eux sous les yeux de leur fils de trois ans… Je me souviens du choc que j’ai ressenti, je crois que je m’identifiais totalement au petit garçon», raconte Corentin. «En primaire, j’étais fier de dire que mes parents protégeaient les gens, mais depuis le collège, je ne dis plus ce qu’ils font qu’à mes amis proches. Cela me fait mal quand j’entends des jeunes de mon âge qui  se réjouissent quand il y a des policiers blessés ou tués… Et les pompiers sont à peine mieux vus. Récemment, une vidéo a circulé au lycée, où ils se font caillasser lors d’une intervention. Mon père aurait pu être là.»

Ses parents, qui exercent tous deux un métier à risques, se veulent rassurants… mais ils évitent de se montrer avec lui dans les quartiers où ils sont amenés à intervenir. « Certains de nos collègues ont été menacés sur les réseaux. On doit éviter d’exposer nos familles», explique Manon, qui va bientôt changer de fonction au sein de la police. «Je dirigeais un groupe opérationnel et je passe à une unité de recrutement. Le terrain va me manquer… mais leur père prend assez de risques pour deux ! Je sais que la grande terreur de mon fils, c’est de se retrouver orphelin

pompier soldat du feu métier dangereux

Métier qui donne le frisson : témoignage de Gabriel, cordiste, une fille de 11 ans

« Papa, il fait un métier qui fait peur… mais je n’ai plus peur ! Parce que je sais qu’il prend toutes les précautions », assure Abygaïl. Elle adore même voir son père, cordiste, s’agripper aux murs comme une araignée, quand il lui montre des vidéos de chantiers vertigineux : car Gabriel est de ceux qui escaladent, au bout d’une corde ou plus rarement, dans une nacelle, les gratte-ciels les plus hauts (en France, ça signifie jusqu’à 200 mètres, environ) pour les réparer, les peindre, ou en nettoyer les vitrages. La société spécialisée pour laquelle il travaille, Skyscrapper, n’emploie que des alpinistes chevronnés. «Je fais de la grimpe depuis plusieurs années, et j’ai initié Abygaïl à l’escalade dès cinq ans. Dans la famille, on ne s’effraie pas facilement… même si on a un nom qui fait peur », plaisante Gabriel, dont le patronyme, en effet, peut paraître prédestiné pour quelqu’un qui n’hésite jamais… à se lancer dans le vide !

métier de cordiste

Gabriel, un papa qui exerce un métier qui donne le frisson, cordiste

« Quand sa mère m’a parlé de ses cauchemars, j’ai discuté avec elle et j’ai compris que ce n’était pas le vide qui lui faisait peur, mais l’idée que je puisse me tromper dans mes manipulations. » Alors, il l’a amenée voir sur place et lui a tout expliqué des (lourdes) procédures de sécurité et normes qui régissent son métier de cordiste : «Il y en a tellement que moi-même, je n’ai pas l’impression de faire un métier à risques.  On fait une analyse du terrain avant de monter, on établit un plan de prévention, on protège les arêtes vives pour qu’elles ne risquent pas de trancher la corde, on fixe des points d’ancrage dans le bâtiment, on a nos harnais, nos EPI**, on monte toujours à deux… bien sûr, il peut y avoir des accidents mais ils sont tous liés à des erreurs humaines. Quand je l’ai démontré à Abygaïl, elle m’a fait promettre de ne jamais faire d’erreur ! Elle n’a plus du tout peur, parce qu’elle a confiance en moi. On a beaucoup de dialogue.  Elle voit aussi que je m’éclate, que je suis heureux au travail, et ce que j’espère lui transmettre… c’est cet épanouissement ! »

cordiste métier qui fait peur

Gabriel a fait de sa passion pour l’escalade un métier

*Certains prénoms ont été changés à la demande des intéressés qui, du fait de leur métier, sont tenus à l’anonymat. **Equipements de protection individuels

Parents qui exercent un métier à risques : l’avis de la psy : « En dire assez… mais pas trop ! »

Delphine Py, psychologue, spécialisée en thérapies cognitives et comportementale, est très engagée dans la prévention et la sensibilisation des jeunes en matière de santé mentale, par le biais des réseaux sociaux. Suivie par plus de 185k abonnés sur TikTok et 30k sur Instagram, elle vient de publier aux éditions Marabout un ouvrage de référence, « Le Guide de ta santé mentale » Elle nous donne ses conseils :

«  Parler à ses enfants de son métier, de sa mission, dès le plus jeune âge, permet de les normaliser à leurs yeux. Sans trop en dire, mais sans trop édulcorer non plus. Quand l’enfant s’inquiète, il ne faut pas chercher à supprimer son émotion mais l’accueillir, la questionner et l’accompagner… comme tous ces parents semblent d’ailleurs très bien le faire. Se montrer disponible et ouvert, répondre aux questions mais sans les devancer, pour éviter de projeter et transmettre nos peurs d’adulte aux enfants… car leurs angoisses, à 5 ou 6 ans, ne sont pas forcément les mêmes que les nôtres !

Attention toutefois à ne pas trop minimiser. Plutôt que de dire « ne t’inquiète pas », mieux vaut pratiquer l’écoute active, dire : « Tu te fais du souci pour moi, ça peut arriver quand on aime quelqu’un très fort. Ca m’arrive aussi de m’inquiéter pour toi. Qu’est-ce que ta peur te dit ? » Et apporter des réponses, en adaptant évidemment son discours à l’âge de l’enfant , en parlant de ce qu’on fait au quotidien sans entrer dans les détails. Se servir d’un support livre ou documentaire, comme le fait la jeune maman militaire, c’est une excellente chose. Montrer le gilet pare-balles ou le casque, expliquer les procédures de sécurité d’escalade, sont aussi de très bonnes idées : ce sont autant d’éléments sécurisants, qui diminuent la part d’incertitude et donnent une sensation de contrôle.

Il ne faut pas hésiter à faire verbaliser la peur, aller jusqu’au bout du scénario catastrophe, puis rationaliser : « oui, cela arrive qu’on soit blessé malgré ces précautions… mais comme tu vois, tout est fait pour l’éviter. » Et quand certains parents décident de changer de fonction, de métier, pour rassurer leurs enfants, c’est parfait si leur décision ne repose pas seulement sur l’esprit de sacrifice, mais sur des valeurs, si elle fait sens et s’inscrit dans ce qu’ils considèrent comme le plus important à ce moment de leur vie : sécurité, famille, partage, complicité, transmission… »

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