« Madame, j’estime que votre fille prend des risques inutiles« . A ces mots, mon corps s’est glacé de la tête aux pieds. La peur, m’a envahie et je cherchais de l’aide du regard, comme-ci une bonne âme pouvait me rassurer ! Ma propre mère ? Mes amies ? Des professionnels ? Je ne me voyais pas leur parler, comme si je me sentais un peu fautive de ne pas avoir vu, su, compris…Oui la culpabilité de ne pas avoir été alertée par les comportements à risques de mon ado s’ajoutait à mes pensées embrouillées. Me fallait-il surveiller mon ado ? La suivre ? Dialoguer ? Punir ? Pour réparer ? J’ai tout d’abord fait le calme en moi pour essayer de chercher par quel bout prendre cet obstacle.
L’histoire de nos peurs de parent
Quelle est la dernière fois où j‘ai eu peur pour mon ado ? J’ai réalisé que dès la conception de mes enfants, cette peur s’est installée. De la joie de les voir naitre, grandir, à la peur qu’il arrive quelque chose. Certes mon histoire familiale m’y prédisposait, je reproduisais les injonctions parentales accompagnées du traditionnel et permanent : « Fais attention ! C’est dangereux ! » Je me souviens de la première fois où j’ai annoncé à mes parents que je voulais faire du planeur !! C’est un peu comme si j’agissais contre eux, que je voulais les tuer. Inconsciemment, était-ce pour moi une façon de me libérer du carcan de leurs angoisses et de leurs projections funestes ? Une autre de me rapprocher de mon père ? Ou bien, prouver que je pouvais faire, que j’étais capable ? Moi aussi j’avais peur, mais le désir de me dépasser pour accéder à un autre état, et les comportements à risques qui vont avec, étaient plus fort.
Lire aussi : Mon ado trouve que les parents d’à côté sont plus cool que nous
Le quotidien et ses risques
Naitre et grandir apportent leur lot de variables, de dangers, d’incident ou d’accident de la vie. Chaque geste, chaque action, peut s’accompagner d’un couac léger ou énorme. Le planeur comportait des risques connus mais c’est en descendant d’un trottoir que je me suis fait une entorse qui m’a immobilisée deux mois. C’est aussi sur le trottoir mouillé que j’ai fait un vol plané qui m’a valu une hospitalisation et des points de sutures.
Risques et expériences
En faisant du planeur je sortais de ma zone de confort. Je me lançais un défi. L’attention portée à mes gestes mentaux, pour apprendre, devait me prémunir des risques. Sortir de nos habitudes c’est en premier lieu rêver, créer un univers différent, s’évader hors de ses connaissances, visiter d’autres limites, d’autres cadres…en un mot vivre une expérience merveilleuse, seule dans ce ciel magnifique, calme, reposant. Le risque apparaissait flou comme nébuleux et heureusement lointain à l’adolescence. Étais-je pour cela inconsciente ?
Entre émotion et rationnel
Pour ce qui concerne ma fille, je prétextais l’achat de vêtements pour elle et décidais d’une conversation sur l’image de soi et le regard des autres. Ainsi je n’étais pas dans l’affrontement, je mettais à distance le lien fusionnel qui nous unissait, et n’abordais pas frontalement la problématique de ses comportements à risque. Notre débat fut parfois drôle, parfois houleux, entre nos peurs, nos émotions. Notre volonté de ne pas parler exclusivement de nous, nous a fait percevoir différents angles de vue pour analyser les situations. Le besoin de se comparer, les identités, les différences, les envies, etc…J’ai pu ainsi transformer mon besoin de « recadrer » mon ado, de lui « faire la morale » en un échange fructueux sur la liberté individuelle, les différentes familles et les regards particuliers.
Lire aussi : Des mots pour dire les maux de l’adolescence
De la liberté débridée aux risques rationnels
» J’ai bien le droit de faire mes expériences ! C’est ma vie ! » Comment répondre à cette question qui implique la possibilité de toucher à tout, sans aucune restriction ? Comment gérer les peurs rationnelles ou irrationnelles qui envahissent le cerveau des parents ? Ce sont les neurosciences qui m’ont aiguillée. En effet le cerveau des ados n’est pas celui des adultes, le cortex préfrontal qui contrôle le risque, l’anticipation et permet la prise de conscience globale d’une situation n’est pas possible. Le cerveau à cet âge est encore en construction. Interdire peut s’avérer efficace en cas d’engagement vital, mais en dehors de ce sujet, aider son ado à construire sa propre prise de conscience, son inhibition, c’est-à-dire savoir se dire NON est fondamental. Savoir ce qui fait partie de ses rêves, entre autre sur le plan de l’orientation, de sa réalité, est une chose pour garder notre proximité avec notre ado. Lui apprendre à se préserver et le sensibiliser à la prise de risques en est une autre. Proposer un cadre rationnel, personnel, respectueux de lui comme de nous, c’est cela notre participation à la construction de nos adolescents.
Lire aussi : Adolescent difficile : que faire quand on n’y arrive plus ?
La prise de risques et l’accident
Les statistiques quand il s’agit de notre enfant ne servent pas toujours à prendre du recul. L’accident, l’échec, ne sont ni certains, ni obligatoires et surtout pas toujours là où on les attend. Ils sont souvent au carrefour de situations complexes. Un résultat de conjonctures impossibles à anticiper à moins de ressembler à ces détecteurs qui traquent les virus informatiques. Se servir de la probabilité de l’accident ou de l’erreur comme frein pour des ados est souvent contreproductif, car leur besoin de prendre des risques, lié à leur envie de liberté, leur besoin de se construire, d’établir leur confiance en eux, de savoir qui ils sont, comment ils s’estiment par rapport aux autres sont tels, que les peurs d’adultes sont des fantômes qu’il faut dépasser.
La place du risque dans nos vies
L’analyse du risque est statistique mais aussi personnelle. Les professionnels sont là pour nous mettre sur la voie des questionnements utiles. Me concernant, en voici quelques questions : » Quel risque avais-je à utiliser la planeur ? A marcher dans la rue ? Puis je me soustraire à cela ? Quel avantage ai-je à prendre ce risque ? Y a-t-il un risque qui peut engager un processus vital ? Quelles sont les probabilités d’un accident dans cette expérience ? Suis-je prête à l’accepter ? Comment sait-on que l’on est prêt ? Est-il essentiel à mon ancrage dans la vie ? À ma personnalité ? À mon évolution ? Quelles sont les personnes avec lesquelles je partage ce risque ? Ai-je quelque chose à prouver ? Vais-je perdre quelque chose si je ne le fais pas ? Quel plaisir j’éprouve avant, pendant, après ? Y a-t-il quelque chose à apprendre dans ce jeu qui oblige à prendre des risques ? »
Cette petite histoire de parent est loin d’être exhaustive. Chaque peur a son origine et sa raison d’être. Ne la négligeons pas mais essayons seulement d’être à l’écoute, de rationnaliser et de se faire accompagner quand cela déborde un peu trop. Aimer son ado est une chose, vivre à sa place en est une autre.
Florence Meyer est la fondatrice de Quokka, une association qui accompagne les parents et les ados sur les sujets liés à l’adolescence. Communication, apprentissages, orientation sont les basiques. De nouveaux liens se créent pour que parents et ados grandissent ensemble. Quokka organise des rencontres, des conférences, des ateliers, pour que ça soit plus facile d’être parent d’ado !
Pour contacter l’association : quokkaparent@gmail.com
Quokka sur Facebook
Plus d’informations sur www.quokka.fr
Vous avez aimé cet article ou bien vous voulez réagir ?