Comment donner une éducation féministe à ses garçons ?

Blog Comment donner une éducation féministe à ses garçons ?

Par Nathalie Brunissen le Mis à jour le 06/03/2024

comment donner une éducation féministe aux garçons

Aurélia Blanc, journaliste féministe et jeune maman d’un petit garçon, s’interroge sur la façon dont nous éduquons nos garçons dans une société où le machisme et les stéréotypes sexistes ont la vie dure. Dans son livre « Tu seras un homme –féministe- mon fils ! », paru aux Editions Marabout, elle donne des outils aux parents pour élever leurs garçons de manière antisexiste. Rencontre.

La vie des femmes n’a jamais été un long fleuve tranquille. Si les femmes d’aujourd’hui ont gagné leur émancipation, elles doivent encore lutter au quotidien contre un sexisme ambiant qui a la vie dure. En tant que mères, nous veillons à l’éducation de nos filles que nous voulons fières et émancipées. Nous luttons à l’école, dans la rue, au sein même de notre famille, pour tordre le cou aux clichés sexistes et pour leur offrir des chances égales à celles des garçons. Mais alors que nos enfants grandissent avec le mouvement #Metoo, alors que les violences faites aux femmes sont malheureusement à la UNE de l’actualité presque au quotidien, que les injustices sociales et salariales auxquelles elles sont sujettes sont toujours pointées du doigt, si nous nous interrogions sur la façon dont nous élevons nos garçons ?

Tu seras un homme féministe mon fils !

Aurélia Blanc, journaliste féministe (participant notamment au magazine Causette) et jeune maman d’un petit garçon, s’est penchées sur les valeurs qu’elle souhaite aujourd’hui transmettre à son fils, avec « l’espoir d’élever un garçon féministe ». Mais de la théorie à la pratique, elle s’est vite rendue compte que les choses ne sont pas si simples. « Comment faire, concrètement, pour éduquer un petit garçon antisexiste dans une société sexiste ? », « Comment sommes-nous censés nous débrouiller pour sensibiliser les futurs hommes aux enjeux féministes ? »

Dans son livre Tu seras un homme –féministe- mon fils !, elle se demande comment aider nos garçons à s’émanciper des comportements machistes tout en vivant une masculinité épanouie. Elle y décortique les stéréotypes et rassemble tous les outils pour aider les parents à élever leurs garçons de manière antisexiste, et retrouver par là même une vraie liberté.

Une nouvelle édition enrichie du livre sort le 6 mars 2024. On y trouvera de nouvelles ressources et de nouvelles parties (sur les différences cérébrales, les apports de la primatologie, le langage, l’influence des discours masculinistes, l’éducation amoureuse et sexuelle, comment agir en homme féministe) pour porter un regard neuf et bienveillant sur l’éducation des garçons.

« Tu seras un homme –féministe- mon fils ! », Aurélia Blanc, chez Marabout (édition enrichie, 6 mars 2024), 17,90 € – Commander sur Amazon

Rencontre avec Aurélia Blanc : à interview un peu cash, réponses toutes aussi franches.

Nous avons rencontré Aurélia Blanc en novembre 2019, au moment de la sortie de la première édition de son livre, devenu un best-seller, « Tu seras un homme -féministe- mon fils ! Manuel d’éducation antisexiste pour des garçons libre et heureux« .

Vous dites que pour les parents féministes, élever une fille dans un monde misogyne donne le sentiment de lutter contre les inégalités. Pourquoi cela ne marcherait-il pas avec les garçons ?

Aurélia Blanc : Ce que je dis plus exactement, c’est que, pour une partie des parents féministes (pas tous), élever une fille dans un monde misogyne peut donner le sentiment de lutter contre les inégalités, en étant en quelque sorte du « bon côté » de la barrière. Parce qu’on se dit qu’on va leur apprendre à ne pas se laisser faire, à devenir des femmes libres, émancipées. Ce qui, paradoxalement, peut sembler plus facile que d’élever un petit garçon dans une société qui va l’inciter à se sentir supérieur aux filles, à avoir des comportements discriminants ou violents, bref, qui va l’inciter à prendre part à la « domination masculine ».

La question qui se pose alors c’est : et si, malgré toute ma bonne volonté et mes principes égalitaires, mon fils devenait un jour une partie du problème ? C’est là, je crois, que se joue la différence.

Lire aussi : Où en sont les droits des filles dans le monde ?

Vous faites en quelque sorte « peser » le poids d’une éducation antisexiste sur les mères.

A.B. : Loin de moi l’idée de vouloir faire peser le poids d’une éducation antisexiste (et de l’éducation tout court) sur les seules épaules des mères. C’est effectivement un discours que l’on entend très couramment : si les enfants, et en l’occurrence les garçons, ont des comportements sexistes, c’est que leur mère les auraient mal éduqués. Ces discours me hérissent ! Car les pères sont tout autant responsables que les mères de l’éducation des enfants – même les moins impliqués, d’ailleurs, puisque le modèle masculin qu’ils incarnent est déjà, en soi, une forme d’éducation.

Ceci étant, dans mon livre, je parle depuis la position qui est la mienne : celle d’une mère. Par ailleurs, il se trouve que les travaux qui ont été menés sur la transmission familiale des valeurs féministes se sont précisément intéressés aux mères féministes (je pense ici aux travaux de la sociologue Camille Masclet), d’où ce focus sur les mères.

Mais je m’adresse aussi aux pères, que j’invite très clairement à s’interroger sur le modèle qu’ils offrent à leurs enfants (par exemple sur la répartition du travail domestique), sur le rôle qu’ils jouent dans la construction de la masculinité, dans la perpétuation des stéréotypes virilistes (en soulignant par exemple le fait que les pères sont davantage hostiles que les mères à ce que leurs fils fassent des activités dites « féminines)… Je le répète : l’éducation antisexiste des enfants est au moins autant l’affaire des pères que des mères.  D’ailleurs, le titre du livre fait référence au poème de Rudyard Kippling, « Tu seras un homme mon fils », une phrase qui se transmets en premier lieu…de père en fils.

Peu de pères prennent la parole sur les stéréotypes sexistes, la pornographie ou l’homosexualité chez les ados. Une question d’éducation, justement ?

Aurélia Blanc : Certainement une question d’éducation, oui. Mais pas seulement. C’est aussi une question de place dans la société. Les filles, les femmes (et donc les mères) dénoncent plus ouvertement les stéréotypes sexistes et la pornographie, parce que ce sont elles qui en sont les principales victimes, et qu’elles en pâtissent bien souvent dans leur vie quotidienne. Contrairement à nombre d’hommes (parmi lesquels des pères), qui ne voient pas (ou ne veulent pas voir) le problème, elles sont, de fait, directement concernées par ces représentations, qui leur sont renvoyées dès l’enfance.

Le sexisme et l’homophobie étant fortement imbriqués, elles sont sans doute aussi plus conscientes de la violence de l’homophobie. Dans sa grande consultation menée en 2018 auprès des 6/18 ans, l’Unicef soulignait d’ailleurs que, globalement, les garçons étaient plus homophobes que les filles. Ce qui n’est pas si surprenant, puisque les garçons sont encore très largement soumis à une éducation très viriliste, qui les encourage à « être des hommes, des vrais » (autrement dit: pas des « femmelettes » ni des « tapettes »).

Pour résumer, je crois que de nombreux pères ne voient pas toujours les manifestations du sexisme ou de l’homophobie. Comment pourraient-ils, dès lors, s’élever contre? Et ont-ils vraiment intérêt à la faire, quand eux-mêmes ont des propos ou des attitudes sexistes ou homophobes ?

Valoriser sans cesse les pères, et les papas solos, comme le fait notre société quand ils « jouent » les mamans, n’est-ce pas une forme de sexisme, avant d’être un exemple à suivre ?

A.B. : Notre société survalorise effectivement les pères qui s’investissent auprès de leurs enfants (au passage, je pense personnellement qu’ils ne « jouent » pas les mamans, simplement leur rôle de père). J’y vois effectivement une forme de sexisme : en quoi est-il exceptionnel de changer les couches de son enfant ou d’aller aux réunions parents-profs? C’est ce que font chaque jour des millions de mères, et elles ne sont pas applaudies pour ça (au contraire, elles en pâtissent bien souvent, notamment dans leur carrière ou à travers l’image qu’on leur renvoie d’elles-mêmes).

Pour autant, je crois aussi à la valeur de l’exemple, et dans une société où le travail domestique et éducatif reste largement dévolu aux mères, il me semble important de montrer que oui, les hommes aussi peuvent prendre en charge leur part du boulot (si si, c’est possible !). Cela contribue à changer les représentations et peut encourager certains à s’impliquer davantage.

Après, cela fait maintenant quarante ans qu’on célèbre « les nouveaux pères », qui ne sont donc plus si « nouveaux ». Et il est grand temps que ces pères impliqués relèvent non pas de l’exceptionnel, mais du banal.

Avant de penser à élever ses garçons de manière antisexiste, et pour la réussite de la démarche, une femme ne doit-elle pas commencer par « éduquer » son conjoint ?

Aurélia Blanc : C’est sûr que si l’on élève un enfant avec un conjoint macho, nos idéaux antisexistes risquent d’avoir du plomb dans l’aile ! Après, on peut aussi élever un enfant avec un homme qui n’est ni « macho », ni féministe – ce qui est d’ailleurs assez fréquent. Et oui, il me semble important de le sensibiliser à ces problématiques, aux raisons pour lesquelles nous (et d’autres) y donnons tant d’importance. Ce qui, en tout franchise, n’est pas toujours si simple que ça, car ça peut être source de tensions (notamment sur le volet domestique). Mais des initiatives comme celles de la dessinatrice Emma (sur la charge mentale) ou le podcast « Les couilles sur la tables » peuvent être de bonnes portes d’entrées pour amorcer une réflexion, et peut-être un engagement plus concret de la part des hommes.

Peut-on être une mère féministe quand on n’a soi-même pas été élevée dans une famille modèle dans le genre ?

A.B. : Oui, absolument. J’en suis un exemple, puisque j’ai moi-même grandi dans une famille assez classique, où les charges domestiques étaient typiquement dévolues à ma mère. L’éducation que j’ai reçue n’était pas particulièrement sexiste (du moins pas plus que la moyenne), mais elle n’était pas non plus féministe. Pourtant je suis devenue féministe, et ces valeurs imprègnent aujourd’hui ma parentalité. Et je ne crois pas être la seule. S’il fallait avoir été élevée dans une famille modèle pour devenir à son tour une mère féministe, pas grand-monde ne serait concerné. Or des mères féministes, il y en a quand même un paquet !

Faut-il avoir reçu une éducation antisexiste pour être aujourd’hui un « nouveau père » impliqué ?

Aurélia Blanc : Je vais vous faire un peu la même réponse que pour les mères féministes. Bien sûr, on a sans doute plus de chance de devenir un père impliqué quand on a grandi avec un modèle égalitaire et des valeurs antisexistes.  Mais on peut aussi avoir grandi dans une famille où les rôles étaient très genrés, où les discours étaient volontiers sexistes, et choisir de ne pas reproduire ce modèle une fois devenu adulte, pour différentes raisons (parce qu’on s’est émancipé de son héritage familial, parce qu’on souffert de cette éducation, parce qu’on est devenu quelqu’un d’engagé…).

D’ailleurs, les jeunes pères que je connais sont pour la plupart impliqués auprès de leurs enfants, alors même qu’ils ont grandi dans des familles traditionnelles où les pères s’impliquaient relativement peu dans les soins des enfants, par exemple.

On imagine qu’un petit garçon élevé par une maman solo sera à bonne école, mais finalement, est-ce forcément le cas ? On a parfois tendance à penser que le sexisme, c’est « dans les gènes ».

A.B. : Alors non, le « gène » du sexisme n’existe pas. Mais il se trouve que le sexisme se perpétue très bien. Non seulement parce que nous ne sommes pas parfait·es nous-mêmes, et que l’environnement de nos enfants (famille élargie, ami·es, école, activités, culture populaire…), qui reste globalement marqué par le sexisme, participe aussi de leur éducation. Alors oui, on peut légitimement penser qu’un garçon élevé par une maman solo sera à bonne école, ayant pour modèle une mère qui porte de multiples casquettes et qui, bien souvent, doit aussi faire face à de nombreux obstacles. Mais cela n’immunise pas automatiquement contre le sexisme, dans la mesure où on peut avoir une vraie admiration pour sa mère et, en même temps, déconsidérer les autres femmes, ou mépriser ce qui est jugé « féminin ».

Votre fils est encore petit, mais comment imaginez-vous poursuivre cette éducation féministe quand il sera ado ?

Aurélia Blanc : J’imagine que cela dépendra en grande partie de sa personnalité, de ses relations aux autres, de la qualité de notre relation… Comme le suggèrent les différentes professionnel·les que j’ai pu interviewer pour mon livre, j’aimerais pouvoir entretenir le dialogue sur ces questions aussi longtemps que possible, l’aider à aiguiser son esprit critique, l’encourager à avoir des activités et des amitiés mixtes, lui permettre d’avoir des modèles masculins qui sortent des stéréotypes et, surtout, de se sentir assez bien dans ses baskets pour savoir résister à la pression du groupe. Autant de choses pour lesquelles je compte évidemment sur son père. Mais j’ai bien conscience que les choses ne se passent généralement pas comme on les avait prévues, donc il m’est difficile de savoir comment j’agirai dans dix ans. Tout dépendra de l’ado qu’il sera. Et s’il s’avère être un petit macho – c’est une possibilité parmi d’autres -, et bien… on composera le moment venu. Comme pour n’importe quelle question éducative, non?

Harcèlement de rue, violences conjugales, mouvement #Metoo…  Quels conseils donneriez-vous aux parents pour aborder ces sujets avec un enfant ? Avec un ado ?

A.B. : Malheureusement, je n’ai pas de recette miracle (et pourtant j’aimerais bien!). À la base, je ne suis pas une spécialiste de l’éducation : je suis une mère féministe, journaliste, qui a été chercher des réponses auprès de gens beaucoup plus spécialistes que moi. Et l’une des choses essentielles que j’en ai retenu, c’est qu’on a tout intérêt à parler très tôt du corps, de ce que sont l’intimité et le consentement. Sans forcément poser ces mots-là, d’ailleurs (parce que clairement, le terme « consentement » n’a pas beaucoup de sens pour un enfant de 3 ans). Dès la petite enfance, on peut questionner ses enfants : « tu m’as dit que tu voulais aller chez le coiffeur, est-ce que ça veut dire que tu serais content si je te coupais les cheveux pendant que tu dors ? Pourquoi tu ne veux pas faire de bisous à Unetelle, mais à moi oui ? ». Etc.

Avec les plus grands, il me semble qu’on peut profiter d’une actualité (et elles ne manquent pas…) ou d’un film qu’on a regardé ensemble pour aborder le sujet, amener l’enfant à s’exprimer dessus, à réfléchir. Plutôt que d’essayer de faire une chasse perpétuelle aux contenus sexistes, ce qui relève de l’impossible, on peut aussi s’en servir pour l’interroger sur la façon dont il voit et ressent les choses. Et puis on peut aussi revenir sur ce qui est arrivé à la petite Mila ou la tante Micheline pour parler, par exemple, de harcèlement de rue ou de violences conjugales. Lorsqu’on arrive à susciter de l’empathie, ça facilite toujours les choses.

J’ajouterais également qu’on n’est pas toujours en mesure de parler de tout ça avec nos enfants, parce qu’on n’a pas les mots, que ça renvoie à des choses douloureuses… Proposer  des supports peut être une piste alternative ou complémentaire. Sur le porno, par exemple, je pense à cette vidéo de l’ancienne actrice X Céline Tran. Ou, sur le harcèlement de rue, à ce récent spot de Ni Pute Ni Soumise.

Finalement aujourd’hui, le respect n’est-il pas plus important que l’égalité dans l’éducation que nous voulons donner à nos fils et à nos enfants en général ?

A.B. : Je crois que le respect est fondamental, mais qu’il ne suffit pas. Plein d’hommes respectent les femmes…tant qu’elles sont jugées conformes à ce qu’ils en attendent. La limite du respect, c’est qu’il est bien souvent à géométrie variable : l’un va respecter sa mère, mais pas les filles avec qui il sort. L’autre va respecter les femmes, mais seulement celles qu’il juge respectables, justement. Or l’égalité, c’est précisément d’avoir droit au respect sans conditions, que l’on soit une fille très prude ou très libérée, que l’on porte un foulard ou un micro-short, qu’on ne veuille pas d’enfant ou qu’on en ait six…

Vous dites qu’il faut « impliquer les pères dans l’éducation sentimentale des enfants ». Encore faut-il qu’ils soient eux-mêmes au-delà des clichés, non ?

Aurélia Blanc : Dans l’idéal, oui, évidemment. Il est certain que si, en guise d’éducation sentimentale, un père martèle à son fils que les filles sont des petites choses fragiles à qui il faut savoir forcer la main, et qu’il faut les collectionner pour être « un homme, un vrai », ça risque d’être contre-productif. Mieux vaut sans doute que d’autres figures masculines moins sexistes se chargent de cette « éducation sentimentale »… Mais il n’en reste pas moins essentiel que les pères parlent de sentiments avec leurs fils, qu’ils apprennent à partager les leurs et, surtout, qu’ils autorisent leurs garçons à le faire, sans se moquer d’eux (ce qui arrive encore trop souvent). Avoir des états d’âmes, des histoires d’amour et d’amitiés, ça fait aussi partie de la vie des garçons. Charge aux pères, donc, de parler sentiments avec leurs garçons. Donner à nos garçons une éducation sentimentale, avec une approche égalitaire : voilà un chantier dont les hommes peuvent se saisir pour faire reculer concrètement le sexisme.

« Tu seras un homme –féministe- mon fils ! », Aurélia Blanc, chez Marabout (édition enrichie, 6 mars 2024), 17,90 € – Commander sur Amazon

Article du 29 novembre 2019 actualisé le 6 mars 2024

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